Eclats de vers : Litéra 02 : Style-eau
Table des matières
1. Pré en bulles
1.1. Introduction
Rhétorique, figures, ronds de jambes et petits pas de danse, fort bien ! Mais où se situe le naturel dans ces détours de la langue, me direz-vous ? Je vous répondrai ceci : nombreux sont les auteurs qui, tout en étant persuadé de nager dans la spontanéité la plus pure, utilisent inconsciemment les techniques de ce que l’on appelle communément le style. Que ce soit dû à un don naturel ou à l’analyse inconsciente de leurs lectures, il n’en reste pas moins qu’ils se servent généreusement dans cette fort pratique boîte à outils. Ajoutons à celà qu’il est peu probable qu’aucun puisse maîtriser sans les apprendre toutes les astuces connues, et vous comprendrez l’intérêt de ce recensement.
Cet ouvrage traite donc des procédés, placés ici sous le terme générique de figure de style, permettant de donner du caractère à un texte. Leur classification ne fut pas chose aisée, les propriétés en étant fort dispersées. J’ai finalement décidé de procéder par analogie, l’ensemble devenant un de ces édifices de grande ampleur, une de ces merveilles à la symbolique forte qui n’a pu être réalisée que grâce à l’accumulation du savoir-faire au cours des siècles. Nous commencerons par tracer le plan des figures de pensée et du langage imagé. Viendra ensuite une classification des transformations permettant de créer des variations d’un texte original, aussitôt suivie des constructions, figures où intervient une forme quelconque de répétition, simple ou dérivée. Le carillon dévoilera des techniques associées au phrasé musical, puis l’architecture présentera des figures plus vastes ou plus complexes. Enfin, le temple concluera cet ouvrage en recensant quelques méthodes encore plus larges, liées à l’argumentation.
Mon espoir est qu’avec tout cet arsenal, vous pourrez inventer vous même les formes poétiques qui s’accorderont le mieux à votre âme au moment où l’inspiration, qu’elle soit petite ténue ou grande tétue, viendra frapper à votre porte. Dans une chanson réussie, la musique à un sens propre en plus de celui des paroles, et un poème est avant tout une mélodie de toute beauté, qui suggère plutôt que d’imposer.
1.2. Avertissement
La nomenclature utilisée dans ce document est fort éloignée du vocabulaire habituel propre aux figures de style ou de rhétorique, et la raison en est triple. Tout d’abord pédagogique, car si on peut admettre une certaine force poétique dans la bizarrerie d’une famille où se cotoient anaphore, épanalepse, oxymore et autre adynaton, il me semble naturellement plus adapté à un bestiaire chimérique qu’à la limpidité d’un exposé. Ensuite, j’ai pu constater en lisant deux ouvrages sur le sujet, l’un orienté vers le style et l’autre vers la rhétorique, qu’il n’existe pas de convention universelle en ce domaine : si certains termes possèdent un sens bien établi, de nombreux autres admettent plusieurs définitions. Enfin, j’ai pu observer au fil de mes lectures poétiques ou découvrir par moi-même des figures qui ne semblent pas recensées. J’ai donc choisi d’adopter une nomenclature innovante, même si certains mots comme la métaphore sont repris du vocabulaire traditionnel, tout en ayant parfois un sens nuancé. Toutefois, lorsqu’un lien clair avec la nomenclature traditionnelle existe, celle-ci est précisée à titre indicatif au début de la section correspondante.
1.3. Notations
On symbolise les blocs de texte par des lettres majuscules :
A, B, C, …, Z
Les tirets « — » entre les groupes de lettres désignent des séparations logiques, conceptuelles, de ponctuation, de strophes, du texte ou autre. Considérons par exemple ce quatrain :
Sur quoi repose une vie
Qu’un peu de cendre et de pluie
Qu’un peu de cendre emportée
Dans la tempête en furie
Afin de mettre en évidence l’architecture du texte, nous symbolisons par des lettres majuscules les blocs concernés :
A | = | Qu’un peu de cendre |
B | = | et de pluie |
C | = | emportée |
ce qui nous permet d’annoter la strophe :
Sur quoi repose une vie [ Qu’un peu de cendre ] (A) [ et de pluie ] (B) [ Qu’un peu de cendre ] (A) [ emportée ] (C) Dans la tempête en furie
Nous pouvons alors en schématiser la structure par :
.......... |
AB |
AC |
.......... |
La structure interne peut donc s’écrire :
AB — AC
2. Plan
2.1. Échelle
Les figures de style peuvent se construire à n’importe quelle échelle textuelle ou poétique : on peut par exemple utiliser des mots pour modifier l’intérieur des syntagmes ou des hémistiches pour ajuster les strophes. Le tableau ci-dessous recense les cas les plus courants :
- discours
- lettre
- syllabe
- mot
- syntagme
- locution
- proposition
- phrasé
- paragraphe
- poésie
- voyelle
- consonne
- syllabe
- rime
- coupe
- césure
- hémistiche
- vers
- strophe
Notons que la poésie versifiée n’exclut pas les échelles discursives, bien au contraire : la combinaison des échelles discursives et poétiques ainsi que les décalages qui peuvent en résulter constituent l’un de ses atouts majeurs.
2.2. Implicite
Nomenclature traditionnelle : ellipse, brachylogie
Dans toute figure de style, chaque idée ou bloc de texte peut être effectivement présent, et on dit alors qu’il est explicite, ou bien seulement sous-entendu, et on dit qu’il est implicite. Dans ce dernier cas, c’est le plus souvent le coté insolite ou la variation par rapport à la structure usuelle qui indique la présence de la figure.
2.2.1. Indices
Lorsqu’une idée est sous-entendue, il est possible de glisser un indice permettant d’orienter le lecteur vers le sens implicite.
2.2.2. Contexte
Lorsqu’aucun indice n’est glissé, c’est au contexte de nous renseigner. Par exemple, dans un contexte élogieux, l’exclamation :
Merveilleux !
ne signifie rien d’autre que son sens propre. Il en va tout autrement dans un contexte de défaitisme, où la même exclamation est perçue comme ironique, ce qui a pour effet d’accentuer le pessimisme ambiant.
2.3. Images
Il s’agit de rapprocher deux idées A et B (choses, êtres, actions, abstractions, …), voire d’identifier l’une à l’autre, afin de faire correspondre leurs caractéristiques (constituant, partie, action, comportement, …).
Par exemple, si on rapproche l’idée d’arbre à celle de navire, les racines pourront être représentées par l’ancre, ou inversément. De même, l’action de libérer les voiles pour gagner de la vitesse pourra être interchangeable avec la pousse des feuilles au printemps.
2.3.1. Cristal
Il s’agit d’une idée centrale A rapprochée de plusieurs idées B,
C, ...
, de sorte que chaque caractéristique, chaque facette de A
est associée à une idée différente.
On peut par exemple décrire un personnage en disant qu’il a la souplesse d’un félin et les yeux d’un serpent, ou dépeindre une plage comme étant la demeure du vent et l’orée de l’océan.
2.4. Combinaisons
Nomenclature traditionnelle : alliance
La combinaison rassemble deux ou plusieurs idées quelconques en utilisant une construction grammaticale pour assurer la cohérence de l’ensemble. Le tableau ci-dessous donne des exemples des formes les plus courantes de ces structures.
Type | + | Type | Exemple |
---|---|---|---|
nom | + | apposition | Renard, oiseau de ruse, … |
adjectif | Un ciel empoisonné | ||
génitif | Les soupirs du printemps | ||
consistance | Son sourire est en or | ||
Une larme de sel | |||
verbe | La brume transpire | ||
verbe | + | adverbe | Il ruse paresseusement |
infinitif | Il joue à perdre haleine | ||
complément direct | Suer des oasis | ||
complément | Il pleure jusqu’au sel | ||
coordonnée | Ni renard ni calife | ||
Frénétiques et glacés | |||
subordonnée | Cette brise qui nous parfume | ||
relative | Le printemps qui soupire |
2.5. Croisements
Le croisement est une combinaison qui joue sur deux plans :
- la phonétique
- les idées
Chacun de ces deux sens peut être explicité ou rester implicite. Par exemple, les mots :
arbre + buste
font penser phonétiquement à un arbuste. Le sens imagé pourrait être le buste de l’arbre, ce qui donne un style fantastique à la description tout en suggérant la partie supérieure du tronc ou le feuillage.
2.6. Connexions
Nomenclature traditionnelle : métonymie, synecdote
Il s’agit de voyager d’un concept à l’autre en utilisant des associations d’idées, une phonétique similaire ou des déclinaisons grammaticales. Par exemple, on peut partir du concept de nuage et arriver à l’idée de pluie. Le tableau ci-dessous reprend les schémas de pensée les plus courants.
Connexion | Exemple | ||
---|---|---|---|
phonétique semblable | oseille | oreille | |
déclinaisons | amour | aime | |
rouge | rougeur | ||
thème commun | comète | astronef | |
famille commune | chouette | goéland | |
juxtaposés | papillon | fleur | |
opposés | feu | glace | |
générique | spécifique | oiseau | cygne |
cause | effet | soleil | jour |
engendrant | engendré | poule | oeuf |
tout | partie | chat | patte |
contenant | contenu | carafe | vin |
idée | caractéristique | verre | transparence |
action | chat | miauler | |
constituant | perle | nacre | |
les sens | voir | ||
écouter | |||
sentir | |||
gôuter | |||
toucher |
Par souci de concision, tous les exemples ci-dessus sont de simples mots, mais il en va de même avec tout autre échelle littéraire. Par exemple, on peut utiliser un lien de causalité pour associer la conséquence :
Le verre s’est brisé.
à un des éléments de la cause :
Le verre est si fragile.
2.6.1. Déclinaisons
Les principaux paramètres que l’on peut faire varier pour une déclinaison sont, pour les noms et adjectifs :
- le genre
- le nombre
et pour les verbes :
- le temps
- la personne
- actif / passif
- affirmatif / négatif
Il existe bien entendu d’autres cas de déclinaisons, comme la transformation d’un adjectif en nom ou en adverbe par exemple.
2.6.2. Indirecte
Lorsqu’on combine plusieurs associations simples, on obtient une association complexe comportant plusieurs étapes. Une association indirecte est le lien existant entre le point de départ et l’arrivée de tout le raisonnement. Prenons par exemple la suite de connexions :
soleil —— chaleur —— désert —— sable —— ensabler
La phrase :
Le soleil s’ensable.
contient les idées initiale et finale de la construction.
2.7. Treillis
Il s’agit d’énumérer une idée ainsi qu’une ou plusieurs de ses connexions. Par exemple, Baudelaire cite dans cet extrait pas mal d’idées liées aux animaux, à leurs actions et en particulier leurs cris :
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices
2.7.1. Grammatical
Voici un exemple de treillis grammatical, c’est-à-dire utilisant les déclinaisons :
Ses rougeurs en rougirent de plaisir
2.8. Contrastes
Nomenclature traditionnelle : antilogie, antithèse
Il s’agit d’un cas particulier de treillis où l’on juxtapose deux idées contrastées ou opposées. Exemple :
La glace est sur le feu
On peut également travailler à l’échelle du vers, en opposant deux hémistiches :
Qui veut se croire grand s’entoure de petits
2.8.1. Combinaison
Nomenclature traditionnelle : oxymore
L’effet est saisissant lorsque le contraste est composé de deux mots liés par un ciment grammatical. Un exemple de Corneille :
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles.
Voici un autre exemple de construction faisant intervenir un verbe et un complément :
Oui, sondez l’insondable océan du sabbat
2.8.2. Négation — affirmation
On peut aussi construire un couple négation — affirmation. Exemple :
Il ne sera jamais d’homme si médiocre que l’art est un titan.
Voici un autre exemple, de Valéry :
Toute humide des pleurs que je n’ai point versés
On rencontre aussi des constructions basées sur des contrastes similaires, comme :
plus | — | moins |
toujours | — | jamais |
début | — | fin |
premier | — | dernier |
Exemple de Rostand :
D’autant plus éloquent que j’étais moins sincère
2.8.3. Description
Nomenclature traditionnelle : antéisagoge
On décrit quelque chose en commençant par ce qu’il n’est pas et en terminant par ce qu’il est :
Il n’était pas très grand, mais plus haut qu’un titan !
2.9. Comparaisons
Une comparaison est un cas particulier d’image, où les deux idées, appelées le comparé et le comparant, sont rapprochées par une caractéristique appelée le point de comparaison. Dans cet exemple :
Ce dessert est doux comme une brise vespérale
Le dessert est le comparé, la brise vespérale le comparant, le caractère doux le point de comparaison et le mot-lien est comme. Les mots-liens les plus courants sont : comme, tel, tel que, aussi … que, ainsi que. Voici quelques exemples d’utilisation :
L’air est aussi frais que l’eau d’un étang
La lune se parait ainsi qu’une princesse
Tel un fol horizon, leur espoir refluait
2.9.1. Similitude
Lorsqu’on veut montrer une similitude entre toutes les caractéristiques du comparé et du comparant, on utilise plutôt les mots-liens pareil ou semblable :
Pareil aux illusions, le spectre disparut
La douceur est semblable aux brises vespérales
mais on peut aussi en utiliser d’autres :
Nous ne sommes pas tout à fait arrivés, mais c’est tout comme
Ton frère est comme sa soeur
2.10. Métaphores
Nomenclature traditionnelle : métaphore
Une métaphore est une image, image qui peut être vue comme une comparaison où, hormis le comparant, la plupart des éléments sont implicites. On se sert d’indices pour guider le lecteur vers les éléments masqués. Exemple :
Deux brasiers le foudroyèrent du regard
L’indice du regard nous mène vers les yeux. Quel pourrait être le point de comparaison entre ces deux idées ? Par exemple l’aspect brillant, la foudre nous suggérant la colère. On peut donc supposer qu’il s’agit de la comparaison implicite :
Son regard se posa sur lui, et ses deux yeux étaient aussi brillants que deux brasiers, ce qui le foudroya
2.10.1. Identification
Une variante particulière de métaphore est celle où le comparé est explicitement cité, et identifié au comparant. Dans notre exemple, on aurait :
Ses yeux étaient deux brasiers foudroyants
ou :
Ses yeux, brasiers foudroyants, ...
2.10.2. Filée
Les métaphores filées sont des suites de métaphores où comparés et comparants sont développés à partir de thèmes centraux. Par exemple, si nous voulons filer la métaphore autour des yeux, nous pourrons dire :
Deux brasiers foudroyants étincelèrent dans la nuit endormie, et il sentit que des flammes tourmentées par le vent l’examinaient.
Il y a un développement de l’idée des yeux, à travers le qualificatif endormie qui suggère des yeux fermés, mais aussi à travers l’adjectif tourmentées, et le verbe examiner, caractérisant un regard inquiet et attentif. L’idée du brasier est également développée, à travers le verbe étinceler et les flammes.
2.10.3. Cryptée
Il s’agit d’une métaphore où les indices sont très ténus, pour ne pas dire inexistants. Il y a alors ambiguité, et donc multiplication des sens possibles. Le contexte ou la suite du texte peut éventuellement donner un ou plusieurs éclairages différents à une métaphore cryptée.
2.10.4. Analogie
Une analogie consiste à comparer deux relations, par exemple :
La vertu en société est aussi rare que le trèfle à quatre feuilles dans une prairie
On peut rendre implicite le point de comparaison, ici la rareté :
La vertu est à la société ce que le trèfle à quatre feuilles est à la prairie
2.11. Sémantique
Il s’agit de jouer avec les différents sens possibles des mots, ainsi qu’avec le nombre d’occurences d’un même texte ou d’une même idée. Une même idée peut être exprimée identiquement ou différemment au fil des occurences. Voyons un exemple :
Il paraît que l’important n’est plus d’être, mais d’avoir, et même d’avoir l’air ; brasser de l’air et de l’argent.
Cette phrase contient deux occurences du verbe avoir. Mais dans le premier cas, il est isolé et signifie posséder, alors que dans le second, il est inclus dans l’expression avoir l’air qui signifie paraître. Le verbe paraître est d’ailleurs cité explicitement au début du texte, mais il est inclus dans l’expression Il paraît que qui signifie On raconte que. Dans la deuxième partie de la phrase, une seule occurence du verbe brasser prend deux significations : brasser de l’air qui signifie s’agiter beaucoup pour masquer l’inconsistance de ses travaux, et brasser de l’argent qui signifie être riche.
Voyons à présent les figures simples que l’on peut déduire de cet exemple.
2.11.1. Syllepse
Nomenclature traditionnelle : syllepse (oratoire)
Une seule occurence d’un seul bloc de texte prend plusieurs sens. Exemple :
Le sel de mer et du texte
Le sel prend d’abord le sens de sel marin, puis ensuite celui d’aspect spirituel d’un texte.
Dans cet autre exemple :
Il posa son bic et une question
Le verbe poser a d’abord le sens de poser un objet puis de demander.
2.11.2. Périphrase
Nomenclature traditionnelle : périphrase, circonlocution
Une périphrase consiste à exprimer une même idée différemment. Par exemple, on peut exprimer l’idée de pluie par :
Les larmes du ciel
La tournure initiale (ici pluie) reste implicite.
2.11.3. Redondance
Nomenclature traditionnelle : pléonasme, trajection
Il s’agit de la répétition d’une même idée exprimée différemment. Exemple :
La pluie, les larmes du ciel nous rafraîchissent l’âme
2.11.4. Résonance
Nomenclature traditionnelle : antanaclase, diaphore, tautologie
Chaque occurence d’un bloc de texte prend un nouveau sens. Exemple :
Les jeunes fleurs aiment les fleurs
La première occurence de fleurs a le sens poétique de jeune fille, tandis que la seconde occurence a le sens propre de fleurs.
Remarque : notons qu’un indice a été glissé dans notre exemple : jeune fleur ressemble phonétiquement à jeune fille.
2.11.5. Pronom
Plutôt que de répéter le bloc tel quel, on utilise un pronom. Par exemple, la phrase :
Tout le monde, tout le monde arrive !
devient :
Tout le monde il arrive !
De même :
C’est son bonbon, son bonbon !
peut être reformulé en :
C’est son bonbon à lui !
2.12. Feintes
Une feinte est la combinaison d’une affirmation et d’un indice ou d’un contexte qui nous guide vers un sens implicite différent du sens apparent de l’affirmation.
2.12.1. Dépréciation feinte
Nomenclature traditionnelle : autocatégorème, chleuasme
C’est une manoeuvre qui consiste à se déprécier dans le but de provoquer une réaction opposée de l’interlocuteur. Elle est souvent teintée d’ironie ou d’indignation, comme dans cet exemple du Tartuffe de Molière :
Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.
2.12.2. Éloge implicite
Nomenclature traditionnelle : astéisme, antiphrase
Exemple :
Je vous dois gronder, cruel, votre absence me fut une torture, oh mais constante !
On comprend qu’en fait la narratrice est très attachée à son interlocuteur.
2.12.3. Grief implicite
Nomenclature traditionnelle : ironie, antiphrase
Exemple :
Si tu continues à viser aussi bien, tu peux être sûr de ne jamais atteindre la cible.
On comprend qu’en fait la personne en question vise très mal.
2.12.4. Double négation
Nomenclature traditionnelle : litote
Il s’agit d’une feinte utilisant une double négation : grammaticale (ne … pas) et implicite. Exemple :
Il ne fait pas très chaud.
phrase qui nous laisse entendre qu’il fait très froid.
2.13. Condensation
Il s’agit de rendre concret, de donner une consistance à une notion abstraite, par exemple :
Lance tes sentiments par-dessus les grillages
2.14. Animation
Nomenclature traditionnelle : allégorie
2.14.1. Hypotypose
Description très vivante, comme si on y était.
2.14.2. Personnification
On fait vivre une idée, un objet, ou un être inanimé. Exemple :
Avec son front squelettique
Sa frondaison dégarnie
Privé de toute tunique
Notre arbre songe aux Antilles
ou encore :
Le printemps nous sourit, soulevant ses jupons
2.14.3. Prosopopée
On adresse la parole à une idée, un objet ou un être. Exemple de Lamartine :
Ô temps suspends ton vol !
2.14.4. Sermonication
On donne la parole à une idée, un objet ou un être. Exemple :
Je suis la forêt, entends-tu ma plainte ?
2.15. Intensité
2.15.1. Emphase
Accentue l’aspect solennel.
2.15.2. Hyperbole
Exagération forte.
2.15.3. Adynaton
Hyperbole tellement exagérée qu’elle en est impossible.
2.15.4. Euphémisme
Expression atténuée pour ne pas choquer.
2.15.5. Exténuation
Propos d’aspect anodin.
2.16. Dialogue
2.16.1. Apostrophe
Interpellation directe d’une personne réelle ou abstraite.
2.16.2. Interrogation oratoire
Fausse question qui n’attend pas de réponse de l’interlocuteur, mais destinée uniquement à renforcer la suite du discours. La réponse est donc fournie comme suite logique par la personne qui pose la question.
2.17. Décalage temporel
2.17.1. Analepse
Récit d’une action antérieure au temps principal du discours.
2.17.2. Prolepse
Anticipation d’une situation, dans le futur du temps principal du récit.
Souvent utilisée pour anticiper les objections de l’interlocuteur.
3. Transformations
3.1. Variations
Nous regroupons sous le terme générique de variations les figures qui consistent à modifier un bloc de texte original pour produire un bloc dérivé qui lui ressemble. Nous notons :
A’
tout bloc dérivé d’un bloc original A. L’original et la variation peuvent se ressembler sur différents niveaux : idée, structure, phonétique, rythme ou sous-bloc(s) similaire(s), etc. Par exemple :
Le silence écrasa le désert
peut être dérivé en :
La cadence envoûta la litière
qui est de structure, phonétique et rythme semblables.
3.1.1. Multiples
Il arrive fréquemment qu’un bloc de texte soit sujet à plusieurs variations. Dans ce cas, nous notons :
A’ A’’ A’’’ ...
les variations successives
3.1.2. Utilisation
Les variations sont bien sûr utilisées isolément, mais elles le sont aussi par nécessité, lors de la construction d’autres figures, qui nécéssitent des ajustements afin de conserver la fluidité du texte.
3.2. Déplacements
Nomenclature traditionnelle : dislocation, hypallage
Il s’agit de déplacer un bloc de texte pour produire un effet d’étrangeté ou bouleverser la structure usuelle. Notation :
⟻ A ⟼
Le tableau ci-dessous donne des exemples des formes de déplacements les plus courants.
Type | Exemple | |
---|---|---|
Forme implicite d’origine | Forme déplacée | |
Syntagme | L’orage et le chien grondent. | L’orage gronde, et le chien |
Adjectif | La chaleur de sa robe pourpre le fascinait. | La chaleur pourpre de sa robe le fascinait. |
Subordonnée | L’éclair que l’orage couvait nous a surpris | L’éclair nous a surpris que l’orage couvait |
Relative | L’éclair qui s’enfuit sans attendre nous a surpris | L’éclair nous a surpris qui s’enfuit sans attendre |
3.3. Ajouts
L’ajout consiste à ajouter un élément ou un bloc dans un texte. Notation :
(++)
3.4. Suppressions
La suppression consiste à supprimer un élément ou un bloc dans un texte. Notation :
(--)
3.5. Développements
Nomenclature traditionnelle : paraphrase
Il s’agit de développer une idée afin d’en construire une forme plus ample. Notation :
£(A)
3.5.1. Gradation
Nomenclature traditionnelle : climax
Une idée est développée progressivement, avec de plus en plus de force. Exemple :
Là-bas le ciel est sombre, grisâtre, sinistre, à glacer le sang.
3.5.2. Évanescence
Nomenclature traditionnelle : anticlimax
Une idée est développée avec de moins en moins de force. Exemple :
Allons, du bonheur, de la joie, de l’enthousiasme, ne serait-ce qu’un sourire.
3.5.3. Grammatical
Il s’agit d’utiliser un maximum de particules grammaticales : le, les, et, mais, etc. On allonge donc le texte en ajoutant des articulations.
〈 £(A) 〉
Par exemple, cette phrase :
Je sais que tu es là
peut être développée en :
Je le sais que tu es vraiment tout à fait là
3.6. Synthèses
Il s’agit de synthétiser une idée afin d’en construire une forme plus concise. Notation :
$(A)
3.6.1. Raccourci
Une part du sens est omis, c’est au lecteur de le reconstituer. Un exemple de toute beauté de Corneille :
Je t’aimais inconstant, qu’eussé-je fait fidèle ?
qui signifie :
Je t’aimais alors que tu étais inconstant, qu’eussé-je fait si tu avais été fidèle ?
3.6.2. Grammaticale
Nomenclature traditionnelle : asyndète, parataxe
Il s’agit d’utiliser un minimum de particules grammaticales. On condense donc le texte en supprimant des pronoms, articulations, etc. Notation :
〈 $(A) 〉
Par exemple, cette phrase :
Je sais que tu es là
peut être synthétisée en :
Tu es là, je le sais
Cet extrait d’Edmond Rostand :
Cyrano, fais ce que dois !
omet un pronom normalement utilisé :
Cyrano, fais ce que tu dois !
3.7. Substitutions
Il s’agit de substituer une idée ou un bloc de texte à un autre. Notation :
A ⟻⟼ B
3.7.1. Connexions
Les connexions permettent de construire d’élégantes substitutions.
Utilisons par exemple :
nuage —— pluie
La phrase :
Les nuages arrivent sur nous
peut être remplacée par :
La pluie arrive sur nous
3.8. Inversions
Il s’agit de permuter deux blocs de texte. L’ordre d’origine est implicite. Notation :
A ¦ B
3.8.1. Étrangeté
L’inversion est indiquée par un effet d’étrangeté. Ainsi, la phrase :
Sa robe était brodée et de couleur vive.
devient après inversion :
Sa robe était vive, et de couleur brodée.
3.8.2. Ordre usuel
Nomenclature traditionnelle : anastrophe
L’inversion est indiquée par une modification de l’ordre usuel. Par exemple :
Sans aucun désir
devient après inversion :
Sans désir aucun
Le tableau ci-dessus reprend quelques exemples d 'inversion :
Forme implicite d’origine | Forme inversée |
---|---|
Encore plus | Plus encore |
Durant sa vie | Sa vie durant |
Je veux la voir sourire | Je la veux voir sourire |
Ne pas le sentir | Ne le sentir pas |
Je vais y songer | J’ y vais songer |
La lune se fond dans la nuit | Se fond la lune dans la nuit |
Voici qui ? moi | Me voici |
3.8.3. Causalité
Nomenclature traditionnelle : prolepse
Il s’agit de l’inversion d’une cause et d’une conséquence. On se sert souvent d’un adjectif indiquant la conséquence pour placer celle-ci avant la cause. Par exemple, cette phrase :
L’eau subit la tempête qui la trouble
devient après inversion :
L’eau troublée subit la tempête
3.8.4. Types grammaticaux
Nomenclature traditionnelle : implication
Il s’agit de permuter les types grammaticaux dans un syntagme. Un exemple courant consiste à permuter les types d’un nom et d’un qualificatif. Par exemple, le syntagme :
Le ciel clair
devient après permutation :
La clarté céleste
ou encore :
La clarté du ciel
3.8.5. Rupture
L’inversion peut provoquer une rupture au niveau des articulations de la phrase. Par exemple, un tapis vert et bleu peut devenir :
un vert tapis, et bleu
3.9. Fusions
Il s’agit de fusionner deux blocs de texte en les juxtaposant. On peut être amené à les modifier afin de rendre l’ensemble plus cohérent. Notation :
{ A, B }
Par exemple, cette phrase :
Des rafales et des fleurs nous embrument.
devient après fusion :
Des rafales fleuries nous embrument.
3.10. Scissions
Nomenclature traditionnelle : hendiadyn, handiadys
Il s’agit de scinder un bloc de texte en deux blocs non consécutifs. On peut être amené à effectuer des modifications afin de rendre l’ensemble plus cohérent. Notation :
A § B
Par exemple, cette phrase :
De lourdes nuées s’amoncellent.
devient après scission :
De la lourdeur et des nuées s’amoncellent.
3.10.1. Locution
Nomenclature traditionnelle : tmèse
Cette figure est également d’une grande force lorsqu’on scinde une locution. Ici, Valéry scinde la locution Quelle que soit :
Quelle, et si fine et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille
4. Constructions
- 4.1. Répétitions
- 4.2. Nuances
- 4.3. Mouvements
- 4.4. Extensions
- 4.5. Compressions
- 4.6. Dilatations
- 4.7. Contractions
- 4.8. Cadres
- 4.9. Miroirs
- 4.10. Réversions
- 4.11. Fédération et confédération
- 4.12. Tête-bêche
- 4.13. Entrelac
- 4.14. Parallélisme
- 4.15. Paires
- 4.16. Reprises
- 4.17. Boucles
- 4.18. Glissade
- 4.19. Hélice
- 4.20. Arborescence
- 4.21. Factorisations
- 4.22. Tableaux
- 4.23. Produit tensoriel
- 4.24. Dualité
4.1. Répétitions
Un même bloc de texte est répété à plusieurs endroits du texte, avec ou sans variations. Notation :
A — A
4.1.1. Refrain
Nomenclature traditionnelle : refrain
Un refrain est un bloc de texte répété régulièrement. En poésie, on le retrouve souvent sous la forme de petites strophes alternant avec les strophes ordinaires, ou d’un ou plusieurs vers situés en même position dans chaque strophe. Exemple :
Les nuées pourpres du désir
Viennent rosir le parchemin
Son coeur se gonfle d’un soupir
Le stylo languit dans sa main
Quelle strophe vive et sanguine
Ecrit-elle à l’encre carmin ?
J’entends glisser sur le vélin
Son joli rire de coquine
Les nuées pourpres du désir
Se sont lovées dans ses cheveux
Sa muse d’un baiser fougueux
Baillonne son charmant sourire
C’est un frôlement langoureux
Qui l’envoûte et qui la taquine
C’est le murmure des aveux
Son joli rire de coquine
4.1.2. Rafale
Nomenclature traditionnelle : battologie, épizeuxe, palillogie, réduplication
Il s’agit de répéter plusieurs fois de suite un même bloc de texte. La dernière occurence peut servir d’introduction à un développement de l’idée. On a donc la structure générique :
AA...A
Exemple :
Tourner, tourner encore et de plus en plus vite
Autre exemple, à l’échelle de la syllabe :
Le DÉ, ce DÉ-mon
ou encore :
NOUS NOUS NOU-rissions de venin
4.1.3. Récursivité
On utilise une répétition et un ciment grammatical pour obtenir un effet de récursivité, avec suggestion de mise en abyme. Notation :
〈 A & A 〉
Le tableau ci-dessous donne des exemples des formes les plus courantes de ces structures.
Type | Exemple |
---|---|
adjectif | Un ciel céleste |
Nos rêves endormis | |
génitif | Le soupir des soupirs |
consistance | Une guirlande de guirlandes |
verbe | La brume s’embrume |
adverbe | Il ralentit lentement |
verbe + Infinitif | Il sait ce qu’il faut savoir |
complément direct | Il regarde un regard |
complément | La poésie pour la poésie |
coordonnée | De l’art, mais artistique |
subordonnée | Je rêve que je rêve |
Voici un exemple où Valéry utilise une double récursivité : celle, assez naturelle, du pronom personnel me par rapport au sujet Je, et celle de l’infinitif voir par rapport au verbe conjugué voyais :
Je me voyais me voir, sinueuse, et dorais
4.2. Nuances
Il s’agit d’une répétition ou le bloc répété est dérivé à chaque nouvelle occurence. Notation :
A — A’
4.2.1. Refrains
On utilise entre-autres les nuances pour varier les refrains. Notation :
A — A’ — A’’
Exemple :
Le vigneron carillonne
L’heure des vendanges sonne
Les beaux raisins sont bien mûrs
Les lourdes grappes vermeilles
Pèsent leur poids sur la treille
On croirait un champ de mûres
Les vendangeurs emprisonnent
Les coloris de l’automne
Dans les arbres, les buissons
La campagne se barbouille
C’est une autre floraison
De menthe, d’or et de rouille
Le tonnelier assaisonne
La brûlure de l’automne
4.3. Mouvements
Un mouvement est un déplacement avec forme originale explicite :
A — ⟻ A ⟼
Exemple :
Le temps s’était figé sur l’aurore des siècles
.............
S’était figé le temps sur l’aurore des siècles
4.4. Extensions
On développe une idée préalablement citée sous une forme plus concise. Notation :
A — £(A)
Exemple :
La pire, ce fut la pire journée.
Le procédé peut être appliqué plusieurs fois de suite :
La pire, ce fut la pire journée, ce fut la pire journée dont ils se souviennent.
4.4.1. Droite et gauche
Comme cas particuliers, le développement peut se faire à droite de la forme concise :
Je cours. Je cours derrière un être qui s’enfuit.
ou à gauche :
Je doute. Je n’y peux rien, je doute.
4.5. Compressions
On synthètise une idée préalablement citée sous une forme plus ample. Notation :
A — $(A)
Exemple :
C’était le seul moment, le seul.
Le procédé peut être appliqué plusieurs fois de suite :
Nous étions jeunes et fiers, nous étions jeunes, nous étions.
4.5.1. Droite et gauche
Comme cas particuliers, la synthèse peut se faire en supprimant la droite de la forme étendue :
Sais-tu pourquoi ils rient, sais-tu pourquoi ?
ou la gauche :
La montagne est si belle, si belle.
4.6. Dilatations
Il s’agit de développer l’intérieur d’un bloc de texte. Les bords restent plus ou moins inchangés, au moins phonétiquement. On a donc la structure :
AB — AXB
Notation :
A £ B
Ce procédé peut servir à mettre en relief une rime, comme par exemple :
Je ne sais plus pourquoi ces cr-IS
Pourquoi les fées dansent la nu-IT
4.7. Contractions
Il s’agit de synthétiser l’intérieur d’un bloc de texte. Les bords restent plus ou moins inchangés, au moins phonétiquement. On a donc la structure :
AXB — AB
Notation :
A $ B
4.8. Cadres
Un cadre consiste à conserver au sein d’un groupe une partie constante dont la position est fixe.
4.8.1. Gauche
Nomenclature traditionnelle : anaphore, épanaphore
Le début du groupe reste fixe, c’est la fin qui varie. On a la structure générique :
AB — AC — AD — ...
Notation :
A~
Exemple :
Choisir un miel,
Choisir une douceur,
Choisir une idée de bonheur
4.8.2. Droit
Nomenclature traditionnelle : épiphore
La fin du groupe reste fixe, c’est le début qui varie. On a la structure générique :
BA — CA — DA — ...
Notation :
~A
Exemple :
Un frisson, il est effrayé,
Une oraison, il est effrayé,
L’ombre d’une ombre même, il est effrayé !
4.8.3. Central
Le début et la fin du groupe varient. On a la structure générique :
BAC — DAE — FAG — ...
Notation :
~A~
Exemple :
Le marin fuit l’eau douce,
L’oie sauvage la bise
La fleur fuit la cerise,
Lui ne fuit que l’amour.
4.8.4. Double
Nomenclature traditionnelle : symploque, antépériphore
La partie médiane du groupe varie. On a la structure générique :
ACB — ADB — AEB — ...
Notation :
A~B
Exemple :
Nous avions poursuivi l’impossible,
Nous avions entrevu l’impossible,
Nous avions sommeillé sur l’impossible ...
4.8.5. Alterné
Un cadre alterné consiste à faire varier alternativement le début et la fin d’un groupe. En voici la structure générique :
AB — CB — CD — ED — EF — ...
Notation :
%
Un exemple avec un jeu de rimes :
Bien que l’eau y soit douce et que dansent les f-ILLES
Leurs jolis bracelets ne rendent qu’un son cr-EUX
L’odeur de l’inutile et de l’absurdit-É
Remplit l’air surchargé d’un luxe somptu-EUX
Qui n’a rêvé l’accès à l’immortalit-É
L’ambroisie, le nectar, les palais olympi-ENS ...
4.9. Miroirs
Le miroir est semblable à l’inversion, si ce n’est que l’ordre d’origine est explicite :
AB — BA
Notation :
A ¦¦ B
Exemple :
C’est qu’il y a tant
De fleurs pour l’écrire
De fleurs qui pourtant (A)
Ont peur (B) de le dire
Ont peur (B) et pourtant (A)
Qui oserait rire
Quel fol épi blanc
Neigerait son ire ?
4.10. Réversions
Nomenclature traditionnelle : réversion, antimétabole
La réversion est un cas particulier de miroir où les rôles des deux blocs sont inversés. Notation :
A % B
Exemple :
Nous vivons une époque étrange où les vieux se sentent jeunes, où les jeunes se sentent vieux.
Le point de vue glisse d’un bloc à l’autre.
4.10.1. Négative
On peut utiliser la négation dans l’un des deux groupes :
Je ne sais si je fuis, mais je fuis si je sais.
4.11. Fédération et confédération
Il s’agit de fusions ou de scissions ou les blocs d’origine sont explicitement cités dans le texte.
Notation :
{ A § B }
Remarque : l’appellation provient du système homonyme ou les états membres sont considérés à la fois séparément et ensemble.
4.11.1. Fédération
Les blocs sont d’abord développés séparément avant d’être fusionnés.
On a la structure :
A — B — AB
Exemple :
La rose se refermait,
Le soir tombait,
La pluie menaçait.
La rose, le soir, la pluie, ce tourbillon m’emportait !
4.11.2. Confédération
Nomenclature traditionnelle : épanode
Les blocs sont cités côte à côté avant d’être développés séparément.
On a la structure :
AB — A — B
Exemple :
Dans l’étrange pays des songes | ⟼ | A |
Régi par les charmes des fées | ⟼ | B |
La vérité est un mensonge | ||
Le mensonge une vérité | ||
Dans l’étrange pays des songes | ⟼ | A |
Les castels sont ensorcelés | ||
Le sol se transforme en éponge | ||
Sans prévenir l’intéressé | ||
Régi par les charmes des fées | ⟼ | B |
Et la magie des anciens druides | ||
Chaque passage est cloisonné | ||
Chaque miroir y est liquide |
4.12. Tête-bêche
La fusion du début d’un groupe et de la fin d’un autre en forme un troisième. On a donc la structure :
AX — YB — AB
Notation :
{ A § / § B }
La scission est également possible :
AB — AX — YB
4.13. Entrelac
IL s’agit d’entrelacer deux groupes de blocs :
AB — XY — AXBY
Notation :
AB # XY
4.14. Parallélisme
Nomenclature traditionnelle : parallélisme, hypozeuxe
Le parallélisme est la juxtaposition de deux groupes de structure identiques :
AB — A’B’
Notation :
//
Exemple :
L’eau descend les ruisseaux, la fleur coule les coeurs
4.14.1. Inversé
Nomenclature traditionnelle : chiasme
Dans le parallélisme inversé, le second groupe a une structure inversée par rapport au premier :
AB — B’A’
Notation :
Λ
La forme la plus frappante est une inversion de la structure grammaticale, comme dans cet exemple de Corneille avec le couple verbe-adverbe :
Il attaque toujours et jamais ne se lasse
mais elle peut prendre aussi d’autres formes, comme dans le tableau ci-dessous.
Type | Exemple |
---|---|
Phonétique | Secou-AN-t dans mes y-EUX-x leurs f-EU-x diam-AN-tés (Baudelaire) |
an — eu ; eu — an | |
Rythmique | Le fleuve / étend ses bras // voluptueux / et clairs |
2 — 4 ; 4 — 2 | |
Logique | Il grimpe doucement et redescend bien vite |
positif — négatif ; négatif — positif | |
Lettres | L’O-R en R-O-tation |
inversion de lettres |
Un autre exemple de chiasme de lettres, par Didier Meral :
Mais le t-O-R-rent charrie une R-O-che arrachée
4.14.2. Double
Dans le parallélisme double, une structure est inversée mais pas l’autre :
(AB, CD) — (A’B’, D’C’)
Notation :
/Λ
Par exemple, on peut inverser les rimes sans inverser la structure de la phrase :
Au feu luisant où cuit l’artich-AUT
Et au flocon venu du beffr-OI
Au feu luisant brûlant sous la s-OIE
Et au flocon qui fond sur ta p-EAU
4.15. Paires
Une paire est une phrase constituée de deux propositions alternatives. Notation :
A ¶ B
Les propositions sont par exemple introduites par :
Les uns …, les autres ...
D’une part …, d’autre part ...
Pour commencer …, ensuite ...
Tantôt …, tantôt ...
Soit …, soit ...
Que l'on soit …, ou ...
Ou bien …, ou bien ...
Ni …, ni ...
… mais, ou, et, donc, or, car …
4.15.1. Semi-implicite
Nomenclature traditionnelle : anantapodoton, anapodoton
On peut obtenir un effet de rupture en escamotant une des deux propositions. Notation :
[A] ¶ B
A ¶ [B]
Exemple :
Les uns parient des fortunes aux dés ...
mais asseyez-vous, je vous en prie !
On peut éventuellement ajouter un indice sur la teneur de la proposition implicite :
Les uns parient des fortunes aux dés … jouez-vous à la roulette ?
Dans ce cas, on devine que les autres parient des fortunes à la roulette.
4.15.1.1. Contraste
Les structures basées sur une négation, comme le « ni …, ni … », offrent une variante intéressante. Partant de :
Ni la lune ni le soleil
le semi-implicite classique nous donne :
La lune ni le soleil
La variante consiste à intégrer la négation dans la proposition où le coordonnant est rendu implicite. Par exemple, en partant de :
Ni le feu ni la lumière ne le réchauffent
on peut utiliser le contraste feu / glace et obtenir :
La glace ni la lumière ne le réchauffent
4.16. Reprises
Nomenclature traditionnelle : anadiplose
Il s’agit de suite de groupes où la fin de chaque groupe est reprise au début du groupe suivant. On a la structure :
AB — BC — CD — DE — EF — ...
Notation :
⟹
Un exemple avec deux groupes :
Je retiendrai l’espoir, l’espoir de ce miracle
Un exemple avec plusieurs groupes :
Le ciel est beau,
Beau comme l’air,
L’air est si doux
Loin de l’hiver.
4.16.1. Inversées
Il s’agit de suite de groupes où le début de chaque groupe est repris à la fin du groupe suivant. On a la structure :
BA — CB — DC — ED — FE — ...
Notation :
⟸
On voit que la structure de chaque groupe est inversée par rapport à la reprise ordinaire.
Exemple :
Pourquoi souffrir,
Dis-moi pourquoi
Mon coeur dis-moi
S’il faut en rire.
4.16.2. Généralisée
La reprise peut se généraliser facilement à plus de deux blocs par groupe. Exemple avec trois :
ABC — BCD — CDE — DEF — EFG — ...
Notation :
⟹ ⟹
Dans l’autre sens :
ABC — DAB — EDA — FED — GFE — ...
Notation :
⟸ ⟸
4.17. Boucles
4.17.1. Serpentine
Nomenclature traditionnelle : antepiphore, épanalepse
Le bloc répété apparaît au début et à la fin d’une même structure. Notation :
A ∫ A
Cette structure peut être une phrase :
L’horizon rougeoyant avale l’horizon.
une strophe :
- Etres fols qui nagez, vous roulez dans vos vices,
Vous contenterez-vous des bas-fonds du débats,
D’humecter de vos doigts l’aile ronde ou la cuisse ?
C’est assez de surface, explorez les abysses !
Oui, sondez l’insondable océan du sabbat,
Ne vous contentez pas des bas-fonds du débat,
Etres fols qui nagez, vous roulez dans vos vices.
un vers :
Je te suis d’un pas vif et joyeux, je te suis
Reconnaissant et fier de danser sous la pluie
ou un hémistiche, comme dans cet exemple de Baudelaire :
Entends ma chère, entends — la douce nuit qui marche.
ou cet autre de Valéry :
Voir, ô merveille, voir ! — ma bouche nuancée
4.17.2. Ronde
Les groupes se donnent la main en utilisant des reprises, jusqu’au groupe concluant qui se termine par le début du groupe initial. On a donc la structure générique :
AB — BC — CD — ...
— XY — YZ — ZA
Notation :
A ⟹ A
Un exemple où on utilise les double sens :
Le théâtre a besoin de monnaie,
La monnaie a besoin de pièces,
La pièce à besoin du théâtre.
4.17.3. Rondine
Nomenclature traditionnelle : épanadiplose
Un même bloc de texte est cité au début d’un groupe et à la fin d’un autre, ce qui donne un effet de retour. La structure type est donc :
AB — CA
Notation :
A ∫∫ A
On peut voir une rondine comme un cas particulier de reprise inversée, écourtée et bouclée.
Cet exemple utilise deux strophes :
Des chats j’ai appris la paresse | ||
Et des minettes les câlins | ⟼ | A |
Je dois dire que leurs caresses | ||
M’ont rendu dingue du satin | ⟼ | B |
Si je suis chaud comme un lapin | ||
La faute en est à ces déesses | ⟼ | C |
Des chats j’ai appris la paresse | ||
Et des minettes les câlins | ⟼ | A |
et celui-ci deux propositions :
En vain il court, toujours en vain.
4.17.4. Rotation
On fait tourner les blocs d’un groupe, le premier bloc se retrouve à la fin :
ABC — BCA
Notation :
@ ⟹
4.17.4.1. Inversée
On fait tourner les blocs d’un groupe, le dernier bloc se retrouve au début :
ABC — CAB
Notation :
@ ⟸
4.17.5. Ostinato
Il s’agit de la répétition incessante et successive d’un bloc de texte dont la fin est une introduction au début, ce qui donne un effet de mouvement perpétuel. Notation :
Φ
Les ostinatos sont souvent conclus par un bloc de texte plus petit, appelé clausule. La clausule peut être indépendante ou dérivée du bloc répété. Exemple :
Pourquoi la lune est si douce, je sais
Pourquoi la lune est si douce, je sais
.......................................
Pourquoi la lune est si douce, je sais
Pourquoi.
Lorsqu’on place l’ostinato en refrain, la clausule donne un effet saisissant marquant la fin du texte. Exemple :
....................................
....................................
Jamais de cierge n’a fondu
....................................
....................................
Jamais de cierge n’a fondu
....................................
....................................
....................................
Jamais de cierge n’a fondu
....................................
....................................
Jamais de cierge n’a fondu
Sans que l’amour soit de mêche.
4.17.6. Moulin
Il s’agit de mettre tour à tour en évidence les constituants les plus importants d’un bloc de texte. Une application courante est de placer tour à tour les mots importants d’un vers à la rime. Notation :
=@=
Exemple :
Je vous entends fleurs de minuit
Qui dansez sous la lune argent
Car du ciel d’encre monte un cri
Fleurs de minuit je vous entends
4.18. Glissade
La position d’un bloc de texte glisse vers la gauche de groupe en groupe. Exemple :
ABC — DCE — CFG
On peut prolonger la série en choisissant un nouveau bloc à faire glisser :
ABC — DCE — CFG — HGI — GJK — ...
Notation :
-\_
4.18.1. Inversée
La position d’un bloc de texte glisse vers la droite de groupe en groupe. Exemples :
ABC — DAE — FGA
On peut prolonger la série en choisissant un nouveau bloc à faire glisser :
ABC — DAE — FGA — HFI — JKF — ...
Notation :
_/-
4.19. Hélice
Il s’agit d’une glissade dans un sens, puis dans l’autre, formant comme une rotation dans les groupes. Exemple :
ABC — DCE — CFG — HCI — JKC — ...
Notation :
-\_/-
4.19.1. Inversée
L’hélice inversée commence à glisser dans l’autre sens. Exemple :
ABC — DAE — FGA — HAI — AJK — ...
Notation :
_/-\_
4.20. Arborescence
Une arborescence est constituée d’une racine reliée à plusieurs branches. On met en évidence les liens entre la racine et les branches en utilisant la répétition. Notation :
—¦=
4.20.1. Fourche
La fin de la racine est reprise à tous les débuts des blocs suivants :
AB — BC — BD — ...
Exemple :
Elle est revenue,
La belle saison,
Saison des amours,
Saison des moissons.
4.20.2. Fourche inversée
Dans la fourche inversée, le bloc contenant la racine est présent à la fin de la structure :
AX — BX — ...
— UX — XZ
Exemple :
Il file comme un oiseau,
Il chante comme un oiseau,
Il vole comme un oiseau,
Un oiseau qui joue avec les vagues.
4.20.3. Grammaticale
Nomenclature traditionnelle : polysyndète
On ajoute un même coordonnant à toutes les branches se référant à une même racine. Notation :
—[
Un exemple de Voltaire :
Oui je le lui rendrai, mais mourant, mais puni
Mais versant à ses yeux le sang qui m’a trahi
équivalent à la forme plus concise :
Oui je le lui rendrai, mais mourant, puni,
Versant à ses yeux le sang qui m’a trahi
4.21. Factorisations
Nomenclature traditionnelle : zeugme, zeugma, disjonction
On n’utilise qu’une seule occurence d’un même texte commun à plusieurs blocs de texte. Notation :
A — [A]
Par exemple, cette phrase :
Quelques années plus tard, quelques années qui semblèrent des siècles
donne après factorisation :
Quelques années plus tard, qui semblèrent des siècles
Autre exemple, Hugo a exprimé cette idée :
L’air était plein d’encens et les prés étaient plein de verdure
par la forme factorisée :
L’air était plein d’encens et les prés de verdure
Autre exempl avec des phrases relatives :
Je sais que tu le vois, que tu le comprends.
qu’on peut remplacer par :
Je sais que tu le vois, tu le comprends.
4.22. Tableaux
Il s’agit d’appliquer le principe de la dualité à un tableau, en le lisant tantôt ligne par ligne, tantôt colonne après colonne. Notation :
(A, B, C) # (R, S, T)
4.22.1. Carré
Considérons le tableau :
A | B |
R | S |
Lu ligne après ligne, il nous donne :
AB — RS
Colonne après colonne, cela devient :
AR — BS
ou, les deux ensemble :
AB — RS — AR — BS
Si nous partons par exemple des éléments :
agile | singe |
furtif | chat |
on peut construire la phrase « ligne » :
Aussi agile qu’un singe, aussi furtif qu’un chat
qui devient, en version « colonne » :
Il était agile et furtif,
Un singe aux moustaches de chat
4.22.2. Rectangulaire
Voici un autre tableau, de deux lignes et trois colonnes cette fois :
A | B | S |
R | S | T |
Lu ligne par ligne, il nous donne :
ABC — RST
Colonne par colonne, cela devient :
AR — BS — CT
ou, les deux ensemble :
ABC — RST — AR — BS — CT
Si nous partons par exemple de cette phrase :
Les rayons s’étirent,
les arbres s’éveillent,
les quatre vents se lèvent
elle deviendra :
Les rayons, les arbres et les quatre vents
s’étirent, s’éveillent, se lèvent
4.22.3. Rimes
Cette technique peut être employée pour entrelacer des rimes. Ainsi, la structure a b b a peut être associée à c d c d :
a | b | b | a |
c | d | c | d |
La lecture colonne par colonne nous donne alors a c b d b c a d, structure utilisée dans cette strophe :
Où l’air s’appesantit
Le temps cesse de battre
Plus de vent plus de sens
La plaine attend l’orage
Attend sa délivrance
Que l’atmosphère éclate
Du verbe qui jaillit
Rempli d’idées sauvages
4.23. Produit tensoriel
On commence par examiner toutes les combinaisons possible entre deux séries de blocs. Notation :
(A, B) ⊗ (R, S)
Par exemple, avec deux couples (A, B) et (R, S), on a le tableau :
⨯ | R | S |
A | AR | AS |
B | BR | BS |
Un produit tensoriel est une structure qui énumère toutes ces possibilités, comme par exemple :
AR — AS — BR — BS
En voici une application :
Rose des blés tu montes pég-ASE
Rose des blés nymphe des lég-ENDES
Les bois dorés sous tes pas s’embr-ASENT
Les bois dorés les champs de lav-ANDE
4.24. Dualité
La dualité est une notion très puissante qui peut désigner différents concepts semblables. Notation :
%
4.24.1. Optimisation
En optimisation, la dualité est un concept qui relie le maximum d’un ensemble au minimum de l’ensemble complémentaire. Ainsi, une plage en bordure de mer peut être vue comme le point le plus bas du continent, ou le point le plus haut de l’océan. Il s’agit donc d’une inversion de point de vue.
On peut utiliser ce concept pour « dualiser » une image. Partons par exemple de :
Les voiles sont les ailes du navire.
Les ailes font clairement référence à un oiseau. On se place donc du point de vue de l’oiseau, et on écrit :
Les ailes sont les voiles de l’oiseau.
4.24.2. Formes linéaires
En théorie des formes linéaires, la dualité est un concept qui consiste à regarder le résultat d’une opération binaire tantôt comme une fonction de la première variable, tantôt comme une fonction de la seconde. Nous adoptons donc une structure où chacun des blocs d’un groupe de deux blocs varie tour à tour :
AR — AS — BS
En voici une application :
Le lac s’étalait sous la l-UNE
Le lac s’étalait sans or-AGE
Que restait-il sur le riv-AGΕ ?
On peut également faire varier le début du groupe avant la fin :
AR — BR — BS
Exemple :
Le potager sentait la menthe
Son fruit femelle une autre a/mante/
Son fruit femelle entre ses mains
4.24.3. Réversion
On peut considérer la réversion comme un cas particulier de dualité.
5. Carillon
5.1. Préparation - Tension - Résolution
Il s’agit de s’inspirer du principe musical alternant préparation, tension et détente d’une mélodie, harmonie ou rythme. Considérons cet exemple :
Oui je le sais princesse, et je sais la tristesse
Et l’étrange beauté des divines faiblesses ...
Les hémistiches du premiers vers (princesse — tristesse) riment entre-eux, l’oreille s’habitue à cette sonorité, c’est la préparation. Le premier hémistiche du second vers fait entendre une sonorité orpheline (beauté), c’est la tension. Le second hémistiche du second vers détend l’oreille en revenant à la rime des hémistiches du premier vers (faiblesse), c’est la résolution.
On remarque que la figure est due, non pas au caractère particulièrement tendu ou détendu du texte, mais au contraste entre les deux parties. Ainsi, dans cet autre exemple :
Au hurlement du vent dans les plaines de br-UME ...
Que de coups de tabac, de tempêtes, de gr-AINS
De beauté a-t-il dû traverser, et d’éc-UME,
Combien de naufragées les soirs de pleine l-UNE ?
Ce n’est pas vraiment la tension des rimes différentes des deux premiers vers, schéma très courant en poésie, qui provoque l’effet mais plutôt le contraste avec la résolution matérialisée par la rime approximative commune des deux derniers vers.
5.2. Ouverture — Conclusion
Un des modèles de phrase musicale se décompose en une première partie ouverte et une seconde partie conclusive. En littérature, on se sert de la ponctuation et de la structure du texte pour produire un effet similaire. Dans cet exemple :
Il a vogué, pareil aux ailettes d’argent,
Il a vogué sur l’océan.
Le premier vers est ouvert, on s’attend clairement à une suite, alors que le second est conclusif.
5.3. Cadences
Nomenclature traditionnelle : bathos
En musique, une cadence est un enchaînement d’accords indiquant une légère pause ou une conclusion. Lorsque la cadence est conclusive, on a l’impression que la musique retombe au sol après avoir voltigé dans les airs. On peut s’inspirer de cette structure pour créer un effet de surprise. Le procédé le plus courant consiste à augmenter graduellement le ton dans un sens avant de l’inverser brutalement. Exemple :
Il est honnête, poli, courtois, délicat, charmant, en un mot insipide.
5.4. Rupture
Nomenclature traditionnelle : aposiopèse
Analogue à la rupture d’une continuité mélodique, elle consiste à changer de sujet de façon abrupte. Exemple :
Et si j’y parvenais … La pluie a-t-elle cessé ?
5.5. Rythmes
On peut faire varier le rythme des phrases en allongeant ou raccourcissant les syntagmes, les propositions.
En poésie, on peut jouer à la fois sur le rythme des phrases et sur les mètres des vers, par exemple en faisant varier l’un tout en laissant l’autre constant.
5.6. Enjambements
L’enjambement est analogue à une mélodie syncopée, c’est-à-dire décalée par rapport au rythme. En poésie, on remplace la mélodie par la structure de la phrase, tandis que le rythme est cadencé par les vers, les hémistiches et les strophes. Un enjambement est donc obtenu en décalant la fin d’un vers, d’un hémistiche ou d’une strophe par rapport aux pauses naturelles correspondant à la structure de la phrase.
5.6.1. Sémantique
Les plus beaux enjambements sont ceux qui donnent un double sens aux vers, comme dans cet exemple :
Princesse, je te suis
Reconnaissant. Celui
............
A la fin de la lecture du premier vers, on a l’impression que le narrateur veut suivre la princesse. Au second vers, on apprend qu’il lui est reconnaissant. On peut même développer la strophe afin de laisser les deux sens s’épanouir :
Lune d’or, je te suis
Tel une ombre légère.
Lune d’or, je te suis
Reconnaissant de ta lumière.
Dans les deux premier vers, il s’agit bien entendu du verbe suivre, et dans les deux derniers du verbe être.
5.6.2. Serpentin
La combinaison d’un enjambement et d’une serpentine provoque un contraste encore plus saisissant entre la structure rythmique et le phrasé. Exemple :
Nous irons écouter leur rire, nous irons
Admirer la fraîcheur timide des cascades
5.6.3. Rejet
Le rejet est une forme d’enjambement où un élément court est isolé au début du second vers :
Le moindre coup de vent, la plus petite goutte
De pluie leur suffisait pour se découvrir libres.
5.6.4. Contre-rejet
Le contre-rejet est une forme d’enjambement où un élément court est isolé à la fin du premier vers :
La lune et le soleil s’embrassaient. Un nuage
Translucide voilait la flamme de leur rage.
6. Architecture
6.1. Imbriquer
Il s’agit d’imbriquer les figures sur deux niveaux ou plus.
On peut par exemple former une combinaison à partir d’un développement et d’une déclinaison. Exemple à partir de l’aurore humide de rosée :
L’aurore humide encor de la rosée nocturne
Arrose la prairie de sa sérénité
6.2. Méta
C’est un procédé qui consiste à construire une figure de style au moyen de briques étant elles-mêmes des figures de style.
6.3. Composition
Il s’agit d’appliquer une figure de style après l’autre. Voici par exemple une réversion :
Nous vivons une époque étrange où les vieux se sentent jeunes, où les jeunes se sentent vieux.
à laquelle on applique le principe de factorisation :
Nous vivons une époque étrange où les vieux se sentent jeunes, les jeunes vieux.
6.3.1. Connexion et contraste
On part d’un contraste, comme :
Les eaux en feu
puis, on substitue en utilisant une connexion :
feu —— fumée —— fumant(e)
ce qui nous donne :
Les eaux fumantes
6.3.2. Yourcenar
Marguerite Yourcenar nous en livre un autre exemple, en partant de la phrase :
Quelques braves gens dont c’était le métier de mourir mouraient.
elle déplace la relative :
Quelques braves gens mouraient dont c’était le métier de mourir.
puis factorise :
Quelques braves gens mouraient dont c’était le métier.
6.3.3. Corneille
Voyons à présent cette idée exprimée par Corneille :
Je t’aimais alors que tu étais inconstant, qu’eussé-je fait si tu avais été fidèle ?
On peut factoriser les blocs semblables :
Je t’aimais alors que tu étais inconstant, qu’eussé-je fait fidèle ?
avant de rendre l’articulation implicite, ce qui nous amène au vers célèbre:
Je t’aimais inconstant, qu’eussé-je fait fidèle ?
6.3.4. Rostand
Ce vers de Rostand mêle un chiasme avec un double contraste homme / femme et joyeux / triste :
Joyeux pour une femme, et pour un homme, triste
6.4. Introduction
6.4.1. Implicite
On peut rentrer directement dans le vif d’une idée en rendant son introduction implicite. Cette technique donne de la vigueur au texte.
6.4.2. Déplacée
En reportant l’introduction à la fin du discours, on lui donne un air de conclusion, renforçant ainsi son importance
6.4.3. Répétée
L’introduction peut être répétée au début et à la fin du discours, formant ainsi une boucle.
6.5. Conclusion
6.5.1. Implicite
On peut rendre implicite la conclusion d’une idée, ce qui diffuse une atmosphère de sous-entendu.
6.5.2. Déplacée
En déplaçant la conclusion au début du discours, on lui donne un air d’introduction, renforçant ainsi son importance.
6.5.3. Répétée
On renforce l’importance de la conclusion en la répétant au début et à la fin du discours.
7. Temple
7.1. Juxtapositions
7.1.1. Évidence
Pour appuyer une affirmation, il suffit de la juxtaposer avec une évidence. Par exemple, si on veut proclamer avec force que la bouderie succède souvent à la colère, on pourra écrire :
L’hiver succède à l’automne, la bouderie à la colère.
7.1.2. Absurdité
Pour illustrer la fausseté d’une affirmation, on peut la juxtaposer avec une absurdité. Exemple :
Je l’ai déjà vu user de franchise, c’était un 30 février je crois.
Le caractère absurde provient ici du 30 février, date non valide comme chacun sait.
7.1.3. Grand angle
Nomenclature traditionnelle : antéoccupation
Il s’agit de présenter un point de vue différent avant l’affirmation. Exemple :
Cette prairie est magnifique, mais alors que dire du ciel nocturne !
7.2. Simulations
7.2.1. Interrogation
Poser une question dont la réponse est évidente et renforce l’apparente solidité d’un argument.
7.2.2. Doute
Nomenclature traditionnelle : dubitation
Feindre le doute entre deux opinions ou deux décisions pour ensuite trancher dans le sens souhaité.
7.2.3. Mauvaises augures
Nomenclature traditionnelle : commination
Décrire les malheurs qui surgiraient en cas de décision contraire à celle que l’on attend.
7.2.4. Conciliation
Nomenclature traditionnelle : communication
Feindre la concilation pour amener l’adversaire à baisser sa garde.
7.3. Négociations
7.3.1. Concession
Céder sur un point de détail dont on fait des montagnes pour mieux imposer un point crucial dont on cache ou minimise l’importance.
7.3.2. Objection anticipée
Nomenclature traditionnelle : apodioxe
Anticiper une objection en l’exposant pour ensuite la réfuter.
7.3.3. Dire sans dire
Nomenclature traditionnelle : prétérition
Décrire ou sous-entendre quelque chose tout en se défendant de le faire.