Eclats de vers : Litera : Cendres

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Table des matières

1 Que reste-t-il

Que reste-t-il après l’amour
Après l’ivresse et le dégoût
Que reste-t-il au petit jour
Que ces émois mis bout à bout ?

Que reste-t-il après l’orage
Et les averses de tristesse
D’un intarissable nuage
Après ce froid qui vous transperce ?

Quelques reflets sans importance
Sur un étang à demi-nu
Et cette impression insistante
D’avoir effleuré l’absolu

Cette fatigue où l’on renonce
À en comprendre un minimum
Les pieds prisonniers dans les ronces
Entre les frelons qui bourdonnent

Ceux qui plus loin que l’infini
Osèrent se contempler l’âme
Purent-ils voir le paradis
Ou le miroir d’un autre drame ?

2 Mines de ciel

J’ai dû confondre avec la vie
L’avidité de l’insouciance
L’essence lourde des vanilles
Avec la joie d’une mésange

J’ai dû confondre avec le vent
Avec l'écho des anciens rêves
Le souffle avili des tourments
Qui se débattent dans leur fièvre

J’ai dû confondre avec un coeur
L'étourderie d’un rideau rouge
Confiant aux alizés moqueurs
Les frêles frissons qu’elle couve

J’ai dû confondre avec l’amour
L’amertume ivre de naguère
Lestée de passion et de poudre
Prélude incessant à la guerre

J’ai dû confondre avec le ciel
Le sel sans lune des cristaux
La lueur verte de la pierre
Avec l’aurore bleue de l’eau

J’ai dû confondre la fraîcheur
Avec la chanson de la menthe
Avec le grain fluide d’un choeur
Les voix qui fusent discordantes

J’ai dû confondre la lumière
Avec un reflet ou un charme
Avec le chant d’une rivière
Le sable aride de vos larmes

3 Au-delà

Au-delà des sanglots, des larmes et des pleurs,
Quand le coeur désséché a dépassé l’horreur
Des rats d’eau qui s’enfuient des radeaux qui chavirent,
Alors la consistance, écran superficiel,
Se dissout dans l'éther ainsi qu’un simple sel
Cristallisé au bord d’une mer de soupirs.

Et la marée furieuse emporte sous son aile
Houleuse tout ce qui nous semblait substanciel
La veille. Nos projets ne sont que des épaves.
Echoués sur le seuil brumeux de l’avenir,
Elles ont beau scruter les nimbes et maudire,
L’insondable néant leur a cloué l'étrave.

Une nuit oppressante établit son empire,
Gyroscope affolé au comble du délire,
Compas déboussolé sans étoile ni ciel.
Mais l’idée du néant se détruit elle-même
Et dans l’obscurité un bouillonnement blême
Ecrit les pulsations du rythme originel.

4 Rêverie

Je ne saurai jamais
Dis moi
Quel est donc ce destin
Qui nous tient dans ses bras
Ou plutôt ne dis rien

Je ne sais plus
Dis moi
Pourquoi es-tu venue
Que me cachais-tu toi
Sous ta peau pourtant nue

Je ne me souviens plus
Dis moi
Quel est le nom du vent
Où vont les pleurs aigus
Et les noir océans

J’ai oublié
Déjà
Le soupir de l’effroi
Le souffle de l'été
Et le son de ta voix

Je ne saurai jamais
Crois moi
Le lieu des souvenirs
Ces soufflets sur le dais
Fatigué du désir

Je me noie de néant
Tu vois
D’ailleurs rien n’est écrit
Ma vie n’est que le vent
De la ligne qui suit

5 Renaissance

Je serai seul ce soir aux bras d’une inconnue
Ecrasant sur son sein nos détresses communes
Peut-être même que nos âmes dévêtues
Arrêterons la course éperdue de la lune

Je serai fou ce soir insouciant papillon
Voltigeant au hasard comme un rêve égaré
Echoué loin des champs dans la boue d’un sillon
Mon vol pour refleurir les jupons délavés

Je serai soûl ce soir coulé par vos yeux froids
Torpillé par tribord et mon coeur n’a plus d’armes
Remplissez à raz-bord téquila-gin-vodka
Je boirai l’océan pour y noyer mes larmes

Je serai mort ce soir car il me faut renaître
Détruire l’illusion dans un cri silencieux
Chrysalide intérieure ouvrez donc la fenêtre
Je pars pour le soleil des sourires radieux

6 Femme-aile

Les jeux sont faits cheveux défaits
C’est passe impair elle te manque
Que tu joues rouge ou noir de jais
Tu rameras contre la banque

Chaque espérance est un jeton
Au bac à rat ou au poker
Ne compte plus les médaillons
Ou tu auras l’air d’un cocker

Les tapis verts sont en fumée
Quatre-cent-vingt-et-un cocktails
Cinquante-deux cartes truquées
Sur le snooker de la femme-aile

Et puisqu’au bridge il faut contrer
Sur une enchère à faible cote
Laissons les ponts sur l’eau couler
Et les atouts régler la note

Il est de mise au casino
Que les honneurs grimpent sans cesse
Chaque pari pour un tarot
L’enjeu avouer ses faiblesses

Fuis devant la roulette russe
Elle a rempli tout le chargeur
A bout pourtant elle te couche
Tout le barillet dans le coeur

Chante plutôt le blues billard
Le syncopé de l’anicroche
Et si la bille à temps ricoche
Tu gagneras au moins la part

7 A fleur d'eau

L’eau qui coulait à la fleur de tes yeux
M’a murmuré : Aurais-tu deviné ?
C’est comme si elle avait tatoué
En lettres d’or ton nom dans ses cheveux

Mais c’est une encre invisible et timide
Seuls elle et toi pouvez les déceler
Ecume bleue sur la vague bleutée
Un océan de cire translucide

Et nul ne sait où commence où s’arrête
Le fin contour de vos peaux qui se pâment
Vos chairs fondues à ne former qu’une âme
Ne sont qu’une ombre et qu’une silhouette

Et vous flottez ainsi que dans un rêve
En vous palpant de mots inavouables
La terre est loin et vous lâchez le câble
Pour mieux voler dans la brume des fièvres

Vous explorez les plus sombres couloirs
De vos envies qui couvaient sous la cendre
La poussière aime à partout se répandre
Dès qu’on oublie la folie au placard

Chaude et salée je perle et m’insinue
Je suis la crue affleurement lubrique
Je suis rosée lorsque vos corps s’imbriquent
Je suis la larme à boire dans les nues

8 Armurerie

Les insouciants font des dégâts
Losqu’on les lâche aux yeux des femmes
Chaque pleur ajoute à leur poids
Mais quand leurs rêves les enflamment

Les insouciants font des dégâts
Et pleuvent les ruisseaux de larmes
C’est qu’ils ne réalisent pas
Que le vol du vent est une arme

C’est qu’ils viennent d’un autre monde
Où l’amour déborde et inonde
Les murs couverts de hallebardes

Même si quand leurs coeurs sont lourds
Leurs airs moqueurs de corps de garde
Les font passer pour des balourds

9 Compresseur

Lorsque ton jeune loup sera un vieux filou
Qui s’en ira chasser les bergères des plaines
Même plus pour leur chair mais juste pour la laine
M’aimerez-vous encore ?

Lorsque l’audace aura épuisé les tabous
Et que mon vers exsangue engloutira la mer
Tellement dilué par autant de misère
M’aimerez-vous encore ?

Lorsqu’il aura neigé sur le toit des années
Que le sommier croulant sera un caducée
Lorsque je serai las de tout hors la lumière
M’aimerez-vous encore ?

Quand nous étoufferons sous les médicaments
Entre anti-dépresseur et gorgées de calmants
Quand le couchant sera arc-en-ciel de prières
M’aimerez-vous encore ?

10 Ma lavandière

Elle était blonde, elle était belle
Elle avait le feu aux prunelles
Ma lavandière
Dans l’océan des ses yeux bleus
Nageait un scorpion venimeux
Au coeur de pierre

On s'était juré en silence
Tout ce que permet l’inconscience
Des jeux extrêmes
Mais il n’y a qu’une lettrine
Une mince lettre coquine
Entre aime et haine

A nous l’amour alphabétique
Un M sans N un peu gothique
Un jour sans ombre
Mais tous les toujours se fissurent
C’est un faux plafond de murmures
Dans la pénombre

Elle était ronde elle était belle
Prenait l’ascenceur vers le ciel
Ma lavandière
Le doigt sur le septième étage
Quand elle gardait dans sa cage
Les pieds sur terre

C'était un ballet bien réglé
Le métronome ciselé
Frôlait les sens
Je n’ai rien contre la limoge
Mais qu’ai-je à faire d’une horloge
Dans une danse

Sa peau embaumait la canelle
Quant elle s’offrait sensuelle
Gambette en l’air
Je ne fais étant indulgent
Aucun commentaire indécent
Sur son derrière

11 Les souvenirs

Tu voudrais oublier
Tu voudrais incendier
Ces souvenirs qui t’enchaînent
Mais toujours ils renaissent
Ils te hantent sans cesse
Ces aiguillons de tes peines

Les vieux airs ces canailles
Transpercent ton poitrail
Des rayons lourds du passé
Quand ce n’est un vieux cadre
Qui d’un vieux candélabre
Surgit et te rit au nez

Et toujours tu oublies
L’une ou l’autre harpie
Qui se dédouble inlassable
Tu as beau leur hurler
Laissez-moi donc en paix
Ils te harcèlent de fables

Les alcools somnifères
Les fumées délétères
Les débauches de parfums
Jusqu’au jeune et au thé
Tu as tout essayé
Sans jamais en voir la fin

Mais un jour tu sauras
Te reconstruire un toi
Et détruire ce fardeau
Mais un jour tu verras
Tu te réveilleras
Tu seras libre à nouveau

12 Verres brisés

Le brasier s’est éteint.
Seul et dernier témoin,

La cendre qui s’attarde
Dans le creux de ma main.

La raison se lézarde
Dans cette fumée pâle :

Un charbon fin et gris
S’incruste en son cristal.

Fuir est mon seul soucis !
Mais sans feu tout est fade,

Le bois est vermoulu,
Il n’est plus de parade.

Sans le moindre fétu
Pour rallumer la paille,

Le coeur décroche en vrille
Vers l'âme qui déraille.

Puis vient l’hiver sans vie,
Chute vertigineuse

Dans l’espace glacier
Des glissantes poudreuses.

D’autres feux vitrifiés
Rosissent ce désert,

Fruits flétris sous la lame
De l’espoir qui lacère.

Et tous sommes ces flammes
Qu’emprisonne un bijoux ;

Pourpre figé, nos perles
N’ont d'éclat que du flou.

Seul ce gel qui déferle
Brûle encore nos corps

Mais c’est un brûlot mort
Sans joie et sans essor

13 Mal à deux

Dans ce mal que l’on fait à deux
Le désir brut est le plus net
Et chaque instant est un adieu
Pour se rassurer de ne l'être
Il eut fallu plus de merveilles
Pour s’oublier dans le sommeil
Compter les fées sur les persiennes
Mais ta douleur était la mienne

Si je nous dois d’avoir vécu
C’est d’avoir écouté le vent
Il me dit "Va !" et je l’ai cru
Ce qu’il en reste est dans ce chant
Il eut fallu qu’on appareille
Vers des murmures sans oreille
Des vagues dont on se souvienne
Mais ta douleur était la mienne

On pourrait croire à l’habitude
D’avoir le coeur écartelé
Tu le sais ces foutus préludes
On ne s’y habitue jamais
Il eut fallu de la folie
Du carburant pour la magie
Il aurait fallu ma sirène
Mais ta douleur était la mienne

Je les laisse aux robots sans cil
Les crocs sanglants les nerfs d’acier
Les poings sans coeur qui sans trembler
Ecrasent les fruits trop fragiles
Il aurait fallu que je mente
Te tendre un mouchoir à la menthe
Il aurait fallu que je tienne
Mais ta douleur était la mienne

Haïr l’amour aimer la haine
Haïr la haine aimer l’amour
Sont nos seuls choix la verve est vaine
Au fil de tout autre discours
Il aurait fallu que sans cesse
Nous en glissions dans nos caresses
Et qu'à la fin je te retienne …
Mais ta douleur était la mienne

14 Lance ample

Le fier voilier plane au-dessus
De la bombe poudrée canon
De la poudre aux yeux des tutus
Mais même s’il plane au-dessus
Des ramasseuses de couillons

Même s’il échappe aux mirages
Allumeuses de feux de paille
Esclaves glacées des miroirs
Même s’il échappe aux mirages
Avant que la nuit ne défaille

Le faucon devrait fuir les griffes
Qui arment les frêles colombes
Car c’est dans l’ombre des soutifs
Que se couvent les oeufs lascifs
Qui fait qu'à la fin il succombe

La mort renaît dès qu’elle meurt
Sa naissance est son agonie
Interminable champ de fleurs
Le poison renaît dès qu’il meurt
En vain ton coeur se réfugie

15 Amarres et hautes

Le revers des étiquettes
Des affolées aux coquettes
Egrène un compte à rebours
Des bas lourds à la bobine
Ce n’est qu’intrigue et combine
Qui n’en connaît que l'échine
N’a jamais connu l’amour

Chacune couve ses tours
D’une magie sans recours
L’oeuf duveteux se dandine
Dans les cages des basquines
Chante l’encor troubadour
Qui n’en connaît que l'échine
N’a jamais connu l’amour

Que la voix soit de satin
Le ton ou sec ou mutin
Aussi beau soit le discours
Qu’il ait neigé qu’il ait plu
Que cela t’ait ou non plu
Qui dit je ne t’aime plus
N’a jamais connu l’amour

La fuite est le seul salut
S’abriter dans les étoiles
Cap au large à fond de toile
Loin du chanvre des chaluts
Et se rappeler toujours
Qui dit je ne t’aime plus
N’a jamais connu l’amour

Il a vu tant de rivages
Lessivés par un chignon
Des creux hauts de dix étages
Et d’une moue les ravages
Sur un visage mignon
Que nul ne leste de chaîne
Le sextant du capitaine

Qui a toute latitude
De retrouver le bon angle
C’est qu’on se perd aux triangles
Des bermudas qui dénudent
Et des jupons qui dessanglent
La calanque est une aubaine
Au sextant du capitaine

Il sait si bien la tristesse
Les garrots de rubans bleus
Que la folie des sagesses
Sert à cacher la tigresse
Qui dort dans le flot moëlleux
Que nul ne leste de chaînes
Le sextant du capitaine

Tant pis si l'île est cruelle
Si le sable n’est pas tendre
Le désir qui se veut tendre
Ne manque jamais de sel
Oui quel que soit le coriandre
La calanque est une aubaine
Au sextant du capitaine

16 Ronde des ailes brisées

Tu seras sans nul doute en carence d’espoir,
Tes ailes brisées sur l’autel des illusions.
J’errerai sûrement, recherchant dans le noir
De l’ombre pour soigner mes futures passions.

Puis viendra cet éclair aux cents coups de canon
La pluie nous sera douce ainsi qu’une éclaircie.
La tristesse, vaincue, baissera pavillon
Effrayée par la lueur de notre folie.

Ensemble nous boirons ces philtres d’ambroisie
Qui tiennent pour un temps à l'écart la querelle.
Pour un temps nous irons nu-pieds dans les orties
Sans en sentir encor la blessure cruelle.

Nous penserons atteindre un bonheur éternel
Lorsque la douleur surgira de son néant.
Notre amour dégrisée se sentira mortelle
Et nous fuira, nous laissant seul avec le vent.

Puis viendra l’heur sans fin des puissants ouragans
Qui porteront des coups fatals à la voilure.
La coque vermoulue cèdera sous les dents
Des flots grossis de larmes, vaincue par l’usure.

Je serai surnageant sur un radeau peu sur.
Dans l’eau un visage imbibera ma mémoire.
Puis j’ouvrirai les yeux, nouvelle chevelure
Et la joie brisera tous nos anciens miroirs.

Tu sera sans nul doute en carence d’espoir,
Tes ailes brisées sur l’autel des illusions.
J’errerai sûrement, recherchant dans le noir
De l’ombre pour soigner mes futures passions.

17 Les amours impossibles

Parfois je rêve encor d’un monde parallèle
Dans lequel mon doublon a fait cet Autre choix.
Dans ce monde si proche, si lointain a la fois
Je les sais qui s’enlacent au creux de notre hôtel
S’aimant de tous leurs sens, ces autres toi et moi.

Même sachant déjà que la fin serait triste
Je devais essayer, il fallait tout tenter.
J’aime mieux la faim des opus inachevés
Au désert glacé d’un clavier sans pianiste,
Car la fin est d'écrire et non de terminer !

Ecrire pour écrire, et ne pas consumer
Nos brèves vies dans des rèves d'éternité.

Tes poisons, semble-t-il, sont plus lents que les miens.
Plus efficaces aussi, ils rongent mes entrailles,
Seule subsiste en moi l’absence qui tiraille.
Tes poisons, semble-t-il, détournent des festins.

Bien sur je guérirai, la folie m’aidera.
Je me noierai sans peur dans ses yeux envoûtants,
Ses doigts seront pour moi autant d'épais onguents.
Bien sur je guérirai, tout recommencera.

En attendant mon sang coule sur les épines
D’un rosier rouge vif entouré de résine
Dont les roses rétives, belles inaccessibles,
Décorent le caveau des amours impossibles.

Parfois je rêve encor, leurs esprits me harcèlent,
Traversant le tunnel, leurs ondes m’ensorcèlent …

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Auteur: chimay

Created: 2021-11-07 dim 19:08

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