Eclats de vers : Litera : Grisailles

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Table des matières

1 Chassé-croisé

Si tu savais mon frère
Quels déserts me transpercent
Vers ce temple d'éphèse
Ensablé de tristesse

Si tu savais ces peurs
Qui me hantent le soir
Et ces avertisseurs
Pépinières de poires

Irriguées de vin chaud
Etuves de l’hiver
Dénouant l'écheveau
Des nuages de chair

Qui épousent le flanc
Du flot où ils s’enlisent
Tourmentés jusqu’au sang
Par les sanglots des îles

Si tu voyais ma soeur
Le bouquet dans la serpe
A travers la vapeur
L’oeil brillant de l’averse

Si tu voyais mais non
Les versets sont tous vains
Les ariettes s’en vont
Dès que l'écho s'éteint

2 Blues

La pluie bat les carreaux les fauteuils se balancent
Au rythme des cahots qui battent la mesure
Le thé ne fume plus la tasse s’en bat l’anse
Un saxophone d’or improvise l’azur

Au rythme des cahots qui battent la mesure
L’aiguillage choisit au hasard le voyage
Le saxo se déhanche et danse la voiture
Sur un tango jazzy où valsent les visages

L’aiguillage choisit au hasard le voyage
Voilà une éclaircie qui pleure et qui sourit
Sur la valse jazzy d’un tango qui s’engage
Et puis d’un coup plus rien le vide étend sa nuit

Voilà une éclaircie qui pleure et qui sourit
C’est à la fois la bise et la brise suave
Et puis d’un coup plus rien le vide étend sa nuit
Et je cherche à tâtons la clef de la charade

C’est à la fois la bise et la brise suave
Mais le temps saute en marche et les wagons s'éloignent
Sur les rails d’autres trains tandis que je m'évade
Dans le blizzard glacé et la neige qui gagne

Mais le temps saute en marche et les wagons s'éloignent
L’entrain qui pétillait s’enfuit vers l’horizon
Dans le blizzard glacé et la neige qui gagne
Je remonte la voie vers le quai de béton

L’entrain qui pétillait s’enfuit vers l’horizon
Tout est superficiel au travers des lucarnes
Je remonte la voie vers le quai de béton
La gare de triage où le givre s’acharne

Tout est superficiel au travers des lucarnes
Une buvette triste où l’eau ne mousse pas
La gare de triage où le givre s’acharne
La tasse s’en bat l’anse et mon café est froid

3 Ténèbres

Notre époque livide exècre l’harmonie
Du gris du gris du gris charbon poudre insomnie
Insipide cocktail de teintes dépressives

Architecture amas de géométries froides
Des arêtes des coins des quadrillages fades
Passés et repassés cent fois à la lessive

Tout est blême à l’extrême un linge étroit et roide
Quand l'Utilité n’a de raison qu’elle-même
Certifiée sans couleur fantaisie ni poème

L’air a la pesanteur d’un soir sans sérénade
Sans brise sans oeillade une nuit uniforme
Couvre-feu vénéneux où l’encre se conforme

Finies les azalées les orchidées timides
Le béton le bitume à la prise rapide
Recouvrent les allées d’une grisaille informe

Un monde-interrupteur ignorant les nuances
Télé en noir et blanc radio interférence
Le binaire est le roi le chaos est la norme

Il est bien loin le flamboiement des décadences
Le parfum du jasmin les douces symphonies
Et le luxe insolent des pluies de pierrerie

Les vieux Soleils ont tous atteint la délivrance
Laissant près du linceul de leur apothéose
Dame Lune éplorée sous son voile morose

4 Le chant de la colombe

Il a beaucoup plu cette nuit
Ce soir il fait beau tout va bien
Il a beaucoup plus dans la nuit
Les oiseaux chantent pour demain

J’aurais voulu chanter l’amour
A chaque aube chaque couchant
J’aurais voulu mais un vautour
En a décidé autrement

J’aurais voulu chanter toujours
Toujours l’amour à chaque instant
J’aurais voulu mais le temps court
Qui me dit retourne au néant

J’aurais voulu nier la mort
Nier la mort et le néant
J’aurais voulu mais le décor
Me dit je ne suis que du vent

Ne pas tomber dans le ravin
Et c’est déjà bien suffisant
Ne pas tomber et ce chemin
Qui s’enroule comme un serpent

J’aurais voulu tous les minuits
Me rebaigner dans l’ignorance
J’aurais voulu la paix l’oubli
Mais j’entends les cris de souffrance

Dites-moi où est la sortie
Loin de ces effluves d’horreur
Dites-moi où je m'égosille
Je ne vois aucune lueur

5 Odelette aux chandelles

Danse la flamme, danse
Que ton beau corps ondule en un vibrant appel ;
Danse la flamme, danse
Ton désir étincelle.

Chante la flamme, chante
Cet été disparu derrière l’horizon ;
Chante la flamme, chante
La saison des moissons.

Berce la flamme, berce
Mon coeur plombé par le crachin et la grisaille ;
Berce la flamme, berce
Que le printemps piaille.

Vole la flamme, vole
Emporte mes espoirs au-delà des nuages ;
Vole la flamme, vole
Au-dessus des orages.

Rêve la flamme, rêve
Le décor orangé des paradis sur terre ;
Rêve la flamme, rêve
Montre-moi la lumière.

Conte la flamme, conte
Redis-moi ce monde éclairé par trois soleils ;
Conte la flamme, conte
Jusqu'à l’aube vermeille.

6 Grenier à clef

Sous un soleil fiévreux, l’aurore sans défense
Savoure la langueur de la bise automnale.
L'été a pris le voile, et les chiens de faïence
Regardent défiler les bas-fonds de la cale.

Les appas sont grippés, l’appeau prend la poussière,
Et même le pommeau n'étreint plus la luxure.
Sous les jupons plissés, l’araignée buissonnière
A tissé patiemment de très chastes ceintures.

Seul le vieux balancier d’une horloge palpite
Non loin du canapé où ronfle tante agate.
L’unique ombre chinoise, estampe décrépite,
D’un matou tout mité trottine à quatre pattes.

Là où régnait jadis une rose marine,
Un vieux vase accroupi essuie des rots marins.
Un loup de mer à pipe, ancien dragueur de mine-
Oie sans cervelle songe aux meutes de catins,

Au hurlement du vent dans les plaines de brume …
Que de coups de tabac, de tempêtes, de grains
De beauté a-t-il dû traverser, et d'écume,
Combien de naufragées les soirs de pleine lune ?

L’horizon tourmenté lui dit : silence, on tourne
En rond. Un peu d’eau d’as, égarons-nous de jambes !
Mais la lingère est nue, et folle, et se détourne,
L'âme use l’arbricot, et les flots se ressemblent.

7 Le pays de Détresse

Lorsque je me trouve en Détresse
Hors de mes gonds et hors d’haleine
Je confie mes pleurs à la plaine
Et l’herbe ploie sous la tristesse.

Sous la grisaille qui m’oppresse
Le miel est fade et les fleurs vaines
Lorsque je me trouve en Détresse
Hors de mes gonds et hors d’haleine.

Dans les brumes les plus épaisses
Je combats des ombres malsaines
Qui figent mon sang dans mes veines.
Non, plus de joie ni de caresses
Lorsque je me trouve en Détresse.

8 Le vide

Pour m’attirer dans le cellier
Il se fait femme aux mille seins
Dont la robe rouge foncé
Laisse échapper un doux venin
Mais il me guette au fond du verre
Tapis sous la pulpe asséchée
Des rêves de fin de soirée
Qui refleurissent les déserts
Ce Vide étrange qui m’enserre.

Dans les tiroirs du souvenir
Il brûle en ses flammes cuivrées
De vieux billets, de jeunes rires
Teintés de rougeurs parfumées
Puis désintègre la matière
Des rideaux, des tapis miteux
Dans un gouffre vertigineux
Qui ne s’arrête qu’aux enfers
Ce Vide étrange qui m’enserre.

Lorsque je ferme mes fenêtres
Pour conserver quelque chaleur
Je vois une main apparaître,
Cercle de fumée sans ardeur
Qui répand dans mon atmosphère
De sournois soupirs assoupis,
Poison languide de mes nuits
Qui appesantit mes artères
Ce Vide étrange qui m’enserre.

A l’aube des journées stériles
Il entame sa rotation
Creusant dans mon âme fébrile
Le coeur assoiffé du siphon
Et s’incurve la terre entière
Dans l’aspiration entraînée
Par la spirale incontrôlée.
C’est un tourbillon sans lumière,
Ce Vide étrange qui m’enserre.

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Auteur: chimay

Created: 2021-11-07 dim 19:09

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