Eclats de vers : Litera : Hommages

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Table des matières

1 Aux poètes nomades

Les oiseaux migrateurs les frères des nuages
Ont l’oeil si lumineux qu’il perce l’horizon
Fixent-ils au-delà de l’irréel rivage
Un printemps éternel parsemé de boutons ?

Ils puisent dans l’air pur la sage déraison
Pour créer par le chant des paradis terrestres
Et s’ils daignent parfois quitter l’abri céleste
Ce n’est que pour le temps d’une courte saison

Car jamais un soupir n’a brisé le vent d’est
Viennent toujours l’hiver la neige et les ténèbres
Il suffit d’une corde aux mélopées funèbres
Pour distordre d’un trait l’harmonie de l’orchestre

Et rayer le couchant d’un pelage de zèbre
Aussi dès que frémit la moindre discordance
L’appel du grand frisson leur parcourt les vertèbres
Leurs ailes se déploient et d’un souffle ils s'élancent

Vers d’autres méridiens où la brise est plus douce
Abandonnant aux nuits dont les serpents s’avancent
L'écaille de leurs oeufs d’anciennes jeunes pousses
Roussies par le soleil pesant des décadences

Oiseaux majestueux d’un incessant voyage
Qui fuyez sans répit la volaille qui glousse
Combien vous faudra-t-il essuyer de secousses
Avant de vous poser sur un heureux rivage ?

2 A vous tous

A vous tous, insensés ! qui recherchez un but,
Un sens à cette vie et à votre folie ;
A vous tous qui cherchez à poursuivre la lutte
De vos rêves brisés au pied de votre lit ;

A vous dont les marées de rires et de pleurs
S'écrasent sur le roc des falaises sans vie ;
Courage ! Vous avez un océan de fleurs
Pour bercer vos douleurs et vos mélancolies ;

A vous qui partagez vos vers plein de douceurs,
Vos amours, vos chagrins, vos frayeurs, vos angoisses
Et qui les guérissez d’un baume de chaleur
Doucement, avec tact, de peur qu’ils ne se froissent,

Vous êtes les soleils de ma profonde nuit
Et c’est du fond du coeur que je vous dit Merci !

3 Marceline Desbordes-Valmore

Etait-ce toi au piano ma châtelaine
Ton parfum jusqu’ici embaume le clavier
Des fleurs contre des fleurs oui donne et soit ma reine
Belle rose déclose échappée du passé
Etait-ce toi ?

Tes vers ont traversé un peu plus de deux siècles
Pour venir s'échouer en sanglots lourds d’orages
Tes vers ont débordé les miens ne sont plus secs
Mais j’ai lu dans tes yeux les lettres du courage
Mais j’ai lu dans tes yeux

Que tu songes le soir en déroulant tes tresses
Souffrir faire souffir l’amour double tranchant
Des pleurs contre des pleurs donne et soit ma maîtresse
J'écrirai malgré toi tout ce que tu défends
Que songes-tu ?

4 Théodore de Banville

Mais pourquoi un douzain ? Me diras-tu compère,
Un dizain eut suffi ! C’est là ma fantaisie.
Et puis je te l’avoue, je veux t’offir un vers
Nouveau, fruité, joyeux, où la rime frétille.
A toi le virtuose, à toi Roi de l’escrime,
Je veux faire goûter ma Muse, mon amie
Qui s’amuse à chanter et danser les quadrilles ;
Donc je croise et j’embrasse et du plat je l’imprime !
Et puisque ton luth d’or déridait les jets d’eaux,
Frère, Prince, Poète, accepte ce rondeau …
Mais pourquoi un douzain ? Me diras-tu compère,
Un dizain eut suffi ! Je veux t’offir deux vers.

5 Charles Baudelaire

Le ronron enjôleur du félin affamé
Et les griffes aiguës de sa fière maîtresse,
La piquette à trois sous vendue par l'épicier
Et l’atroce nausée qui attaque en traîtresse,

De l’hiver frissonant la brume âcre et épaisse
Qui empoisonne l’air de sa bile jauneâtre,
Immuable relief de l’estivale ivresse
Endormant le pays en un sommeil douceâtre,

Le voyage au néant, vers l’aube d’hyacinthe,
Les liqueurs de Lesbos, les opiums de Cythère,
Les goules, les serpents, les verroteries teintes,
Tout cela ne vaut pas un vers de Baudelaire.

6 Théophile Gautier

Un tableau d'Albertus est accroché au mur,
Renaissance baroque encombrée de chats noirs.
Chauve-souris, follets, spectres, restes d’armures,
Y dansent le sabbat dans un obscur manoir.
La toile surchargée est sciemment grotesque ;
Une horloge arrêtée contemple l’oeuvre d’art.
Sur la table, une plume de soie et d’ivoire
- Secrète affinité ? - contient autant ou presque
De nuances de tons que l’atelier d’un maître.
Un merle impressionné sifflote à la fenêtre,
Posé sur le nacré marbre des arabesques.

Théophile Gautier
Ecrit la rose-thé.

7 Charles Leconte de Lisle

Le Soleil de souvient du rêve de son rêve.
La jungle, où jaillissaient des spectres séculaires
Etouffe sous l’immense ombre crépusculaire
Du Condor qui contemple un Temple qui s'élève.
En bas, un champ de ruine où fleurit le mystère,
Hanté par la légende et les Elfes des îles.
Les Druides psalmodient les Esprits des clairières,
Veillant sur Leïlah et son sommeil fragile.
Les songes se marient en visions chimériques ;
Les Nornes, les Hurleurs, les Déesses antiques
Prennent corps même au coeur de l’insipide ville :
C’est cela la magie de Leconte de Lisle.

8 Le berger blanc

inspiré de la chanson Le paradis blanc,
de Michel Berger

Je n’ai pas un radis mais si j’avais l’argent
Je m’en irais construire un chalet sous le vent
Si haut que pas un cri ne troublerait l'étang
Je n’ai pas un radis mais si j’avais l’argent
L’humanité vivrait un éternel printemps
Loin des combats d’enfants et des guerres de clans
Je n’ai pas un radis mais si j’avais l’argent
Je m’en irais construire un chalet sous le vent

Je manque un peu de voix mais si j’avais l’orage
Il irait foudroyer toute idée de carnage
Ecraser sans pitié la tyrannie sauvage
Je manque un peu de voix mais si j’avais l’orage
Il irait balayer l’hypocrisie sans âge
Qui s’amuse à bâtir des déserts sans nuage
Je manque un peu de voix mais si j’avais l’orage
Il irait foudroyer toute idée de carnage

Je manque un peu d’espoir mais si j’avais l’horloge
J’inverserais le cours des eaux où l’heure loge
Juste pour les revoir briller sous la limoge
Je manque un peu d’espoir mais si j’avais l’horloge
J’inventerais ce temps qu’aucun temps ne déloge
Du sable à égréner qu’aucun siècle n’abroge
Je manque un peu d’espoir mais si j’avais l’horloge
J’inverserais le cours des eaux où l’heure loge

9 Pierre de Ronsard

Assieds-toi donc Ronsard,
Assieds-toi, il faut boire !

Nulle flèche d'Amour
N’a résisté au vin ;
Si ton coeur est trop lourd
Le remède est divin !

Assieds-toi donc Ronsard,
Assieds-toi, il faut boire !

Grise-toi de l'Oubli
Des Orchidées trop fières ;
Trinquons aux prés fleuris
Et aux Roses légères !

10 Fille d'automne

Elle est source de paix d’espoir et de lumière
Et s’enroule sans cesse en valses inconnues
Ceux qui ont entrevu son âme à demi-nue
Savent l’intensité que couve le mystère

Elle est source d’espoir mais c’est un soleil noir
Qui rayonne à pleins feux sans rien garder pour elle
Tant elle est généreuse à dispenser le miel
Qui coule de ses deux magnétiques miroirs

Son bijou le plus beau c’est son coeur couvert d’or
Qu’un ange langoureux sensuel et félin
Lui sculpta au berceau en effleurant ses seins
Et peut-être qui sait ? le reste de son corps

Elle assemble les mots dans des musiques folles
Pour guérir ses douleurs et hurler son amour
Elle voudrait pouvoir renflouer d’un discours
Les voiliers naufragés qui hantent les rigoles

Ses jeux ses chants ses vers imprégnés de magie
M’ont redonné le goût de croire en l’avenir
La tendresse absolue qui sort de ses délires
Ses amis vous diront qu’elle a changé leurs vies

J’ai peur de te l’offrir ce contre-jour bien pâle
Comparé aux splendeurs de ta brillante étoile

11 Le Chat Noir

Dans Montmartre l’ancienne obscurcie par l’air flou
Si tu entends le chant de rimeurs un peu gris,
De musiciens bourrés (d’autres diraient fin saouls) ;
Si tu résiste' aux clins des yeux mi-verts mi-gris,
Avance' et tu verras parmi l'épais brouillard,
Accoudée comme une habituée sur le bar,
A deux pas de la butte, auprès de la Galette
(Tu sais ce vieux moulin fleuri de galipettes),
Tu entendras rouiller l’enseigne du Chat Noir.

Si tu n’es point pédant, souteneur ou grigou,
Si tu préfère' au jour les ombres de la nuit,
Si ta lyre est mordante ou même sans tabou
L’endroit est accueillant (sauf peut-être aux souris).
Sais-tu peindre, scander, jouer ou même boire ?
Entres, c’est là l’endroit où partager ton art !
Si tu ne crains pas de défriser les soubrettes,
De finir sur un banc ou mieux sur la carpette,
Assieds-toi et commande une absinthe au Chat Noir.

Encore à cette époque, on entend les matous
Feutrés et ronronnants pousser l'éternel cri
De ralliement du sage en un long miiaaawwwou.
Leur appel donne forme aux contours de la nuit
Sous la lune qui prend le pavé pour miroir
Et le tam-tam des fille' errant sur le trottoir.
Ce concert de filous aux maigres silhouettes,
Affolant jusque dans leurs terriers les coquettes,
C’est le fantôme du cabaret du Chat Noir.

12 Paul Verlaine

L’automne est en deuil, finie la chanson
Mais l'écho de ton rêve familier
Sonne encore douze aux joyeux pinsons.

Ectabane en feu brûle le péché
Mais Sappho, toujours, chante les amies
Entre deux baisers vers l'éternité.

Les coeurs sont en pleurs dans les eaux fleuries :
Les sanglots longs bercent les nénuphars.
C’est ton vers impair qui pleure dans les eaux fleuries.

La femme et la chatte ? Leur jeu continue car
Ô joyeuse, joyeuse est la claire rengaine
Ecrite, écrite de la plume de Verlaine.

13 Victor Hugo

Là-haut, loin dans le ciel, un aigle étend ses ailes ;
Déjà, pour l’escorter, l’orage s’ammoncelle.
Ses serres sont d’airain ; dans ses yeux des éclairs
Vengent la liberté qu’un roi fort peu civil,
Inconscient du danger, a osé mettre aux fers.
Alors, c’est l’ouragan, le souffle de l’exil,
L’averse vérité qui inonde la ville.

Mais Hugo c’est aussi les palais flamboyant,
Les rythmes, les parfums, les charmes de l’orient ;
Puis la contemplation des feuilles de l’automne
Où la mélancolie s’engouffre et tourbillonne ;
Mais Hugo c’est le romantisme étincelant.

14 Anniversaire

Sirène des radeaux et des petits poissons,
Ne trouble plus le champ de l’eau qui te dévoile,
Laisse entre les épis choir la constellation
Qui accroche à ton cou sa vingt-sixième étoile.

15 A une fée

Les mots se sentent lourds
Aussi lourds que la glaise
De dépit ils se taisent
Dès que le monde est sourd

Les vers ne sont pas mûrs
Ils sont verts de colère
L’inaltérable azur
S’assombrit de poussière

La rythmique des stances
Prends un coup dans l'étrave
Et se retrouve esclave
De l’horrible substance

Un élégie s’impose
Au chevet d’une fée
Quand le cafard morose
Envahit ses pensées

16 Les phares

Baudelaire, parfums embrumés de lumière
Murmurant le voyage à la pipe opiacée
Qui serpente sous une lampe tamisée.
Au balcon chante une vague crépusculaire.
Le vin, rubis du soir empli de souvenirs,
Retarde l’horloge tandis que ses vampires,
Sa femme et son chat languissent dans la tanière

Rimbaud, vaisseau obscur emporté par la nuit
Loin du rivage calme de ses dix-sept ans.
Des canons de couleurs surgissant de son flanc
De leurs feux d’artifice éclairent l’infini,
Crachent leurs voyelles vers une tour éteinte
Et sabordent le port de sa profonde empreinte.
S'évadant de la terre, un dormeur pousse un cri

Verlaine, un air léger, une chanson qui sonne
Un écho qui résonne dans nos émotions
Douce ritournelle parcourue de frissons.
De le ciel soit de bleu, de pluie ou bien d’automne
Tous les sons s’amoncellent, gazouillent et voltigent
Des gammes les plus graves aux plus frivoles tiges.
Vertigineuse danse où le vent tourbillonne

Charles d'Orléans, mélancolie en ballade.
Son coeur est pris d’assaut par Tristesse et par Joie
Dedans ses ronds d’eau clairs février, mai ondoient.
De sa plume les Pensers ressortent nomades ;
Abrité s’est en la forêt de Nonchaloir
Son âme sous garde du chevalier Espoir.
De ses douces Amours naissent ses sérénades

Hugo, aigle juché en haut de la falaise
Dont l’oeil perçant menace de serres d’airain
Le roitelet cruel qui croit ne risquer rien
Et qui se cache en vain derrière des fadaises.
L’autan, le bois, l'étoile et la vérité fière
Lui sont autant d’alliés et il parle au tonnerre.
Devant lui la honte bue se sent mal à l’aise

Mallarmé, beauté pure flottant dans l’azur
Oiseaux angéliques enivrés d’horizons
Des fleurs toutes couleurs et de soleil profonds
Oranga arrosé rouge, vert framboise et mûre
Flottent haut ses ailes dans les cieux en délire
Ses plumes se rappellent un unique mot : fuir !
De sa fuite l’envers nous apporte un murmure

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Auteur: chimay

Created: 2021-11-07 dim 19:09

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