Eclats de vers : Litera : Journal

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Table des matières

1. Le baron noir

Je suis le baron qui se vautre,
Je suis l’homme aux mille casquettes,
Je prends d’une main ce que l’autre
Semble jeter aux oubliettes.

Je suis le Roi recouvert d’or
D’un tas de bouseux abrutis ;
Je leur vend plus de boue encore
Pour qu’ils en gavent leurs petits,

Qu’elle leur bouche le cerveau
Qu’ils soient sourds, aveugles, idiots ;
Que leurs mains creusent leur caveau
Tandis qu’ils flattent mon ego !

Car je leur laisse la parole
Pour qu’ils encensent mon saint nom ;
Il suffit de quelques babioles
Et ils gonflent mon beau ballon.

Tous ces zombies votent pour moi :
Je suis leur ampoule blafarde ;
La nuit les fait trembler d’effroi,
Le secret du jour je le garde.

Dans ma belle administration
- Il faut bien nourrir sa famille -
Trois quart des postes sont bidons
Le reste est là pour que ça brille.

J’ai des sociétés pour sucer
Les clients engorgés du bout ;
Quelques emballages dorés
Et le fric gicle de partout.

Et pour soulager la misère
J’ai quelques drogues en réserve,
J’ai soucis de l’humanitaire :
Ces gens dormiront mieux sous l’herbe.

Non, je m’ennuie en vérité,
La loi m’ouvre ses jambes en l’air ;
Normal c’est moi qui fait voter
Et détruit les parlementaires.

La presse m’y est fort utile
- La fange tache ce qu’on veut -
Scandale au poing, elle mutile
Et le corbeau regarde, envieux.

Je suis la pieuvre enracinée,
Vipère attifée en couleuvre :
Ce tas de cendres calcinées,
C’est ma fierté et mon chef-d’oeuvre.

2. Le perroquet

Je suis un triste perroquet
Qui répète ce qu’on lui dit
Je vis dans un estaminet
Et m’alimente de mépris

Le vrai du faux je m’en bat l’oeil
Moi j’imprime ce qu’on me dit
J’arrive à voiler mon orgueil
Dans le parfum des oeufs pourris

Nourrissez-moi tous de scandales
Que je puisse enfin exister
Couronnez ma muse vénale
En reine des prostituées

Mon encre et mon âme sont noires
Si je tombe à court de papier
J’inventerai d’autres cafards
Pour vous les coller sur le nez

Je suis un triste perroquet
Mes mains sont couvertes de boue
Je salis tout ce qui me plaît
Quand les rotatives s'ébrouent

La diffamation est mon arme
Les sous-entendus mon armure
Je ferai pleuvoir d’autres larmes
Pour me payer d’autres parures

Les serpents se mordent la queue
Ils n’ont pas peur de s'étouffer
Je vous avoue je suis comme eux
Car je n’aime pas vérifier

Si vous voulez qu’un ciel d’azur
Remplace mes titres crottés
Dites que je suis une ordure
Je m’en irai le répéter

3. Victime de l'ombre

Il fit froid cet hiver,
Je suis mort sous un pont :
La fin de mon calvaire,
D’une vie de bouffon.

L’on me dit la victime
De cette société
Qui, par peur de l’abîme,
Ne s’accuse jamais.

Je n'étais pas armé,
Ne revendiquais rien,
Aucun sang n’a coulé
Dans le creux de mes mains.

La mort sans violence
N’intéresse personne
- Horreur quelle indécence,
Le bon goût lui pardonne ! -

Je suis mort sous un pont,
Un pont non stratégique
Meublé de vieux cartons,
De vide économique.

La mort sans explosion
Ne cadre pas très bien
Avecque les raisons
Des grands et leur desseins.

Mon corps reste dans l’ombre,
Cela vaut mieux ainsi :
Je préfère la tombe
Tranquille de l’oubli

Que d'être tourmenté,
Acteur involontaire
Et pantin rapiécé
Aux mains de la colère.

Que le vautour dédaigne
Ma viande par trop maigre
Et de mon coeur qui saigne
Le reste de vinaigre !

4. Ire honnie

La plume d’oie n’est pas pour les vilains :
Déposez tout et montrez-moi vos mains !

Pour bien écrire, il faut être archiduc,
Bien se poudrer, porter haut la perruque.

L’autruche ? Non ! C’est par trop provincial ;
Le merle sent son verbe provençal ;

Des gants de soie, des plumes de perruche
Sont conseillées pour ne pas être cruche.

Nous décidons, je suis roi de ce fief,
De ce qui est, ou trop court ou trop bref,

De ce qui est, et de ce qui n’est pas,
Ce qui se peut, ce qui ne se peut pas,

Et que jamais le mot félicité
Ne peut rimer avec facilité.

Nous décidons que nous nous savonnons
Chaque matin des plus savants savons,

Qu’il faut crouler sous des tonnes de livres
Pour découvrir la clef des sources vives,

Que nous craignons les ombres du passé,
Qu'à leur fraîcheur, on ne peut somnoler.

Les lisons-nous ? Nenni, nous psalmodions ;
Je n’ai pas dit que nous les comprenions !

Les écrits saints, nul ne peut les comprendre,
Mais on peut bien les citer les apprendre

Par coeur bien sûr, oui et surtout sans coeur
Où l’on s’expose aux critiques rageurs.

De la raison, mais nue, sans intuition
Car l’oeil se brouille au fil des émotions !

Nous exigeons des fauteuils sans coussins :
Ils siéront mieux à nos pompeux bassins !

Que chaque siège alentour soit cilice :
De la douleur, nous en ferons un vice !

Nous placardons que l’exécrable masse
Naît sale et moche, ignoble et dégueulasse

Et leur prenons le noble parchemin :
Leurs mains sont mieux à nous tisser le lin,

Tandis que nous, les purs aristocrates,
Nous décrétons, du haut de nos savates,

Que nous tenons l’unique vérité :
Ils ont tout faux, nous sommes dans le vrai.

Nous proclamons la vérité unique :
Elle est frigide et porte la tunique.

C’est là beau dogme, il reste à découvrir
Comment il marche et comment s’en servir.

Mais nous saurons, car nous nous savonnons
Chaque matin des plus savants savons.

5. Halles et gorilles

Les pourris n’ont pas de frontière
Mais certains sont plus abordables
On se paie le pamphlet d’hier
Si demain se fait moins aimable

C’est plus facile d'écraser
Pour impressionner les gonzesses
Une cause téléphonée
Sans risquer ses augustes fesses

Plus facile de ricaner
D’un très petit que d’un trop grand
Morale de cour de récré
Pour les petits et grands enfants

Osez ! Mais sans risquer de mais !
Soyez engagés de l’orteil !
Oubliez que tant d'êtres veillent
Pliant sous le poids des abcès

Tous ces gosses de mal-culture
Ce n’est rien c’est de la musique
De tous les temps la pourriture
Donne à l’humanité sa trique

Quand on n’ose pas … on la ferme
C’est là la moindre des décences
La partialité ne renferme
Que les germes de l’inconscience

Progresser ? Non mais quelle idée !
Chacun pour soi c’est beaucoup mieux !
Soyons animaux en journée
Et pâles cocus dans le pieu

N’y pensez plus aux vrais problèmes !
Vous ne sauriez pas les résoudre !
Rien que d’y penser vous rend blème
C’est plus facile d’en découdre

Engueulez-vous pour des salades !
Ca fera bien monter le prix !
Puis critiquez le mec malade
Qui spéculerait sur le riz !

Gloire aux victimes désignées !
Et gloire à la stupidité !
Si ca rentre … en bourse j’achète
Avec ou sans la vinaigrette

Car ce sont des valeurs très sûres
Tout en étant des plus rentables
De condamner d’autres luxures
Tout en préservant son étable

Soyez grossier c’est très tendance
Et oubliez le poids des siècles
Ces monstres de bibliothèques
Qui vous pèsent trop sur la panse

Confondez tout coton et laine
C’est mieux pour les pelotes tendres
Plus ça s’emmêle et plus ça rentre
Comme me disait frère Eugène

Qui était un fier polisson
Souple mais très droit dans ses bottes
Le genre à aimer le cresson
En l’agrémentant de carotte

Mais qui n’aurait jamais osé
Abattre un tigre sans ses griffes
Vendre cher sa publicité
De ses scandales maladifs

6. Carrefour en X

Le carrefour en X, c’est un peu en contrebas
Du carrefour en croix.
C’est le coin des trafiquants d’amour,
La scène
Obscène
Où l’on parodie
Le paradis.

Et nos deux héros
De valeur économique proche de zéro
N’ont rien trouvé de mieux à y faire que l’amour.
Car pour faire l’amour, il vaut mieux être deux.
Du moins c’est nettement mieux quand on est deux.

Elle,
Elle vend son corps,
Son ultime et plus précieux trésor.
Pourquoi ? Pour se nourrir, elle
Ou bien les gosses non déclarés
Que son ex-prince charmant lui a laissé,
Ou encore pour éviter la piqûre d’un scorpion affamé,
Ou peut-être juste parce que son coeur déborde,
Allez savoir ! Peu importe.

Lui,
Il est peut-être là pour oublier sa poupée en peluche,
Ou peut-être est-il l’infortuné mari
D’une de ces autruches
Qui n'épousent que le pognon
Et n’arrivent à jouir qu’en se baignant dans la gloire
Et le pouvoir ;
Alors autant cette fille aux mille noms
Qui, quoi qu’on en dise, a plus d’honneur
Et lui laisse moins d’aigreur
Que sa perruche.
Allez savoir ! Peu importe.

Demain, ils auront sûrement oublié
Que le temps d’un vertige passager
Ils se sont évadé,
Carrefour des paumés.

En attendant, ils s’envolent dans la lumière,
A cent lieues au-dessus de l’humaine misère ;
N’arrêtons surtout pas leur exploit éthéré,
Laissons les gerbes de leurs âmes fleurir sur le pavé,
Carrefour des paumés.

Passant, quand tu laisses traîner tes yeux
Parmi les lupanars dorés,
Quand tu les laisses rouler comme des billes de billard
Aux abords
Des ports
Blafards,
Des bars à fric et des trottoirs visqueux
Où s’englue toute trace d’humanité,

Avant de condamner ces hôtels fluorés
Et ces maisons de passage
Qui n’ont plus d'âge,
Avant de vomir leurs désirs sulfureux
Pour mieux oublier que tu les as avalé
Ne fut-ce qu’un instant,

Avant de jeter l’anathème en masse
Sur les liasses
De ponts et d’impasses
Et des étals où l’on vend
La luxure au comptant,
N’oublie pas qu’ils sont peut-être là tous les deux,
Au milieu des baiseurs parvenant à s’aimer,
Carrefour des paumés.

7. Entre deux eaux

L’athée fanatisé hurlera au mystique
Le religieux zélé pensera l’hérétique
Les sectes de tout poil me traiteront de fou

Mais je continuerai à ricaner de rage

Pour la gauche bornée suppôt capitaliste
Pour le banquier aigri racaille communiste
En bref idéaliste adepte des bijoux

Mais je continuerai à ricaner de rage
En voyant ces moutons accrochés aux pendules

Vivre entre pour et contre en véritable artiste
Implique les regards de travers des gens bien
Vous savez ceux qui ont tous le même parfum

Mais je continuerai à ricaner de rage
En voyant ces moutons accrochés aux pendules
Si le cordage casse attention au pelage

Ce n'était pas une ode à tout les extrémistes
Je n’insisterai pas sur ces doux voyageurs
Ces poètes rêveurs dont on brise le coeur

Mais je continuerai à ricaner de rage
En voyant ces moutons accrochés aux pendules
Si le cordage casse attention au pelage
Vous risquez d’avoir l’air encor plus ridicules

8. Cinq minutes

La ville s’illumine. Un soir peut commencer.
L’air transporte un parfum, comme un goût de réglisse.
Les bureaux désertés, les comptoirs se garnissent
De cols plus détendus et de jupons fripés.

Il reste cinq minutes
Mais nul n’a remarqué :
Dans le ciel une étoile
Semble nous contempler.

L'école ouvre la vanne aux flots dépenaillés.
Les enfants s’enfuient loin des grilles, des tutelles,
Vers cette liberté dont ils sentent l’appel.
Dans leur tête un repas, un jeu, une télé.

Quatre minutes encore.
Aucun n’a deviné.
Dans le ciel une étoile
Paraît avoir bougé.

Décor, quartier pourri. Un homme est terrassé ;
Les cents carillonant font office de glas.
Autre rue, un viol et bientôt un trépas,
Dernières victimes d’un monde carnassier.

Il reste trois minutes,
Assez pour expirer.
L'étoile dans le ciel
Se laisse dériver.

Le commerçant s’endort au creux de son sommier
Tandis que dans le port s’allument les néons,
Phares des vieux pêcheurs qui sentent le poisson.
L’aguicheuse secoue ses reins ensommeillés.

Encore deux minutes
Et tout aura cessé.
L'étoile dans le ciel,
C’est sûr, elle a enflé.

Moi, je prends l’ascenceur avec la fille enceinte
Et pense à cette vie qui ne sera jamais.
Mon chat là-haut m’attend devant son bol de lait.
Soudain le noir. Toutes les lampes sont éteintes.

Pas grave : une minute
Et tout va s'éclairer.
Notre filante étoile
Commence à bourdonner.

Le missile dehors doit percer l’atmosphère,
Premier des canassons porteurs d’apocalypse.
Je suis chanceux, je ne verrai donc pas l'éclipse
Ni le raz-de-marée de feu et de poussière.

Plus ri

9. Futur proche

Je les vois comme je vous vois
Je suis à la fois ici et là-bas
2050 2060 2070

Peu importe la date exacte
De la rupture du pacte
Disons juste que plus rien ne pousse
Ils sont morts
Tous
Ils se sont mutuellement étouffés
Plus aucune trace d’humanité
Dans ceux qui bougent encore
Leur carapace a été génétiquement renforcée
Au détriment d’un crâne plus épais
Les savants n’ont même pas dû trop forcer
Sur les greffes de vache à lait

Je suis à la fois ici et là-bas
Je les vois comme je vous vois
2040 2050 2060

Ils se vautrent
Ils se marchent les uns sur les autres
Tout en maudissant leurs parents
De les avoir balancé d’un coup de pied au derrière
Dans cet égoût puant
C’est vrai que ca ne sent pas la cerise
Et qu’on leur avais promis la lumière
Ca ne les empêche pas d’engendrer à leur tour la bêtise
Ils se montent les uns sur les autres
A coup de trique au derrière
On aurait même aperçu des hommes enceintes
Générateurs d’apocalypse
Ils répandent leurs gènes et leur sang
A tous vents
Comme on sort les poubelles le samedi
Il y aura bien un gosse sur cent
Qui survivra dans cette fosse "sceptique"
Optimisme délirant
Sûrement les vapeurs toxiques des usines chimiques
Cà donne des hallucinations
A la longue
On voit des petits martiens fluorescents
Pourtant il n’y a plus de centrale les dernières
Ont explosé récemment

Je les vois comme je vous vois
Je suis à la fois ici et là-bas
2030 2040 2050

C’est la bousculade
Aucune pensée cohérente ne s'échappe du chaos
Comme dans les supermarchés quand il y a un incendie
C’est la tornade
Le chaos
Ils vont tous mourir parce qu’ils se bousculent à la sortie
L’idée de réfléchir ne leur traverse même pas l’esprit
D’ailleurs ce mot l’académie l’a supprimé
Il rapportait moins que la médiocrité
Plus personne ne votait pour lui
Plus personne n’en comprenait le sens
D’ailleurs quelle importance

Je suis à la fois ici et là-bas
Je les vois comme je vous vois
2020 2030 2040

Le processus a déjà commencé
Regardez autour de vous
On en voit déjà qui grimpent dans les arbres
Ou à défaut dans les ascenceurs
Il ne faut déjà plus trop compter sur les élévateurs
S’ils sont trop spirituels ils se lézardent

Je les vois comme je vous vois
Je suis à la fois ici et là-bas
2010 2020 2030

C’est là c’est ici que les avenirs se séparent
Tout comme hier tout comme aujourd’hui tout comme demain
Et nous sommes tous responsables
De cette multitude d’incertain
Ce monde ne permet l’innocence
Que dans l’ignorance et l’inconscience
Responsables ceux qui le voient et ne le vivent pas
Responsables ceux qui le vivent et ne l'écrivent pas
Responsables ceux qui l'écrivent et le ne le crient pas
Mais le crier à qui mais le crier à quoi

2000 2010 2020

Au train où ça va on fonce droit au mur
La fuite en avant ou plutôt
La fuite vers le haut
Des immeubles qui grattent l’azur
Même que ça ne le fait pas rire l’azur
Et les immeubles sont de plus en plus haut
Normal le niveau
De la boue monte sans cesse
Glauque et épaisse
C’est pour ça qu’on construit des ascenceurs en marbre
En fait c’est un ersatz de béton peint en rose
Mais personne ne s’en rend compte donc c’est du marbre
Les jardins suspendus aux manettes il faut bien qu’on les arrose
Oui tout en haut les manettes tout en haut et en bois
Cà évite à ceux qui les manipulent
De voir le bordel qu’ils flanquent en bas
Dans les égoûts qui pullulent
Et puis au milieu la caste des autruches
La ruche des autruches et des cruches
Très chère si votre caquetage vaut votre plumage
Moi je me barre direct retrouver les poules d’eau
Et comme je me sens d’humeur volage
Je vous laisse terminer ce texte qui prend l’eau

10. Vue de l'extérieur

Ai mis en panne en orbite proche d'une planète étrange. Les indigènes y sont le vestige d'une civilisation très ancienne, du temps où l'humanité n'était encore qu'un enfant capricieux et cruel. Leur immaturité dure toute leur vie et ils semblent ne jamais parvenir à placer leur propre ambition au sein d'une vision commune. Ce qui rend leur société totalement déséquilibrée et instable, secouée régulièrement par des éruptions effroyables de violence. Ils ne connaissent, visiblement pas d'autre moyen de canaliser leur énergie. Pour preuve, plutôt que de réguler naturellement leur nombre en fonction du nombre moyen d'enfants, ils font preuve d'un égoïsme génétique effrayant qui les amène rapidement en surpopulation. Ce qui amène inévitablement les problèmes que vous savez : pollution énorme, manque d'espace, consommation des ressources naturelles à une allure effrayante, agressivité qui les amène tôt ou tard à des guerres de plus en plus sanglantes. Ils sont juste capables de retarder les explosions en étouffant toute idée créative dans une casserole à pression. N'en sortent que des légumes cuits à la vapeur, fades et dénaturés. Ainsi, tout individu tentant de s'extirper du carcan unidimensionnel de leur échelle de valeur ou de la bipolarité simpliste de leur système politique se voit immédiatement aliéné par la société et rentre bien vite dans le rang. D'ailleurs, même s'il tentait vainement de continuer sur cette voie exténuante, le bruit de fond abrutissant d'une litanie reprise en écho par la masse bourdonnante aurait vite fait d'étouffer sa voix. Bien entendu, pris séparément tous les arguments fallacieux de ce brouhaha pourraient être anéantis, mais le nombre finit par l'emporter. Pour la même raison, vous imaginez bien que tout ce qui constitue nuance ou contexte est soigneusement filtré et manipulé, que tout ce qui constitue accès d'imagination est soigneusement bridé. On évite ainsi tout déraillement intempestif du train-train de la déesse Inertie. Leur société est morcelée en clans qui, au lieu d'essayer de combiner les meilleurs avantages de leurs théories respectives, gaspillent leur énergie à dénigrer le voisin et à ériger leur propre idéologie en dogme. Leur système de répartition des ressources est archaïque et notoirement instable, même s'il leur est officieusement interdit d'en parler : l'amalgame avec d'anciennes dictatures est alors mis en branle, mais ce n'est qu'un cas particulier de la technique d'aliénation dont j'ai parlé plus haut. La balance des revenus et des dépenses est conçue de sorte que la majorité des habitants puisse juste passer la tête hors de l'eau. A chaque étage social, les besoins sont crées pour s'aligner sur les moyens financiers, par esprit d'imitation ou par menace d'exclusion. Ils sont donc condamnés à surnager. Vous voyez que tout est programmé pour étouffer toute imagination, comme les structures pyramidales ou sont prises les décisions par exemple. Les frottements y sont tels qu'aucune décision n'est jamais prise, a moins d'y aller très fort sur la dose de lubrifiant. Ils ont instauré un culte de la laideur, la Médiocratie, pour les aider à oublier que leur environnement est suffocant et déshumanisé. Les abreuvoirs de la consommation leurs servent de soporifiques en cas de poussée insupportable de lucidité. L'eau froide y est proscrite et remplacée par des distributeurs automatique d'espoir en pilules. Ils ont élevé tellement de temples au dieu du commerce qu'ils ont fini par croire que le bonheur pouvait se chiffrer, et que rien ne peut exister hors de l'argent. Les diminutions de budget de l'éducation permettent non seulement d'alimenter les importants détournements de fonds dont la structure a besoin pour fonctionner, mais pompe également quelques bouffées supplémentaires d'oxygène aux velléités de la pensée. Les voleurs ne se cachent plus dans les bois mais derrière des réseaux de lois si denses, si chaotiques, si complexe et, pour tout dire, si illogiques que plus personne ne s'y retrouve. Ils votent à intervalles réguliers pour des gens qu'ils ne connaissent pas, ce qui leur évite au moins de trop s'inquiéter pour l'avenir. Vous l'aurez compris, afin d'éviter tout risque de contamination, je recommande la mise en quarantaine de cet astre occupé par des barbares. Aucun vaisseau ne devrait s'en approcher, et encore moins y atterir avant que ne s'y développe une civilisation digne de ce nom.

Capitaine Endymion, livre de bord de la goélette d'exploration Mimosa, en croisière aux abords de Proxima Centauri.

11. Stèle

Ton âge affichait dix-sept ans
Beaucoup trop jeune pour mourir
L'âge d’aller cueillir aux champs
La fleur qu’on appelle sourire
Tu n’auras jamais dix-huit ans :
Tu es mort pour un baladeur
Vingt-cinq euros le prix du sang
Sur le marché noir de l’horreur
L’amour t’invitait au banquet
Tu l’attendais dans cette gare
Mais ils t’ont saigné sur le quai
Morceau de viande à l’abattoir
Aucun des témoins n’a bougé
De peur de s’avancer tout seul
Lorsqu’elle est enfin arrivée
Rendant son coeur sur ton linceul
Ont-ils voilé leurs yeux de rage
En réalisant le carnage ?
Tu es mort parce que l'Humain a abdiqué devant les fauves
La société désagrégée a beau s’embaumer de guimauve
La merde qu’elle a dans les yeux se nourrit d’ignorance crasse
La porte est ouverte aux tyrans aux meutes de la pestilence
A dix siècles d’obscurantisme aux amputés de la conscience
Les peuples-rois n’existent plus : la masse-esclave la remplace
Vingt-cinq euros dissimulé dans un journal
Après le pain, les jeux, matchs truqués et dopage
Magouilles corruption et tout le saint-tapage
Tu vois tu n’es plus rien qu’un fait divers banal
Qu’un assassin t'éventre au milieu d’une foule
Prostrée paralysée qui ne réagit pas
Ce n’est rien c’est normal et puis la presse roule
Comme une girouette au gré des opéas
Tout le monde s’en fout Tout le monde Pas moi
Qui grave quelques pleurs sur ton pâle trépas
Tu ne sauras plus rien de ces minables guerres
De ce mal dominant qui gangrène la terre
De ces usurpateurs qui souillent le nom Homme
Dans la fiente hormonale et le crottin chimique
De ce gris éternel que partout on bétonne
De la Stupidité au col barré de fric
Pourtant tu voulais vivre et tu avais raison
C’est pour toi que j'écris ce calligramme horrible
Ce symbole trop vif de déshumanité
Pour toi et pour ces fous qui n’ont d’autre ambition
Que d’enfouir leur angoisse avec ton cri terrible
Pour tous ces névrosés tentés par le léthé
Que ce poignard de Damoclès leur rappelle
De regarder toujours plus haut vers le ciel
Que tout seuls ils n’arriveront à rien
C’est ensemble que l’on construit demain
En disant Non à cette barbarie
Intolérable et à l’hypocrisie
Car la Vie se construit tous les jours
Que la pointe de ce discours
Réveille ceux qui somnolent
Le nez planté au sol
Yeux bouchés aussi
En leur disant :
"Tes enfants !
Penses-y
!"

12. Un printemps sans corbeaux

Vu que la bête en nous a beaucoup a apprendre,
Vu qu’il est des printemps qui se font trop attendre,
Vu que le marchand règne, aidé par l’alchimiste
Qui lui forge son or dans sa cuve sinistre ;

Vu que le prophète pactise avec le diable
Pour séparer les peuples d’un odieux vocable
Et tacher de carmin l’agneau pur de l'étable ;

Vu que l'écriture n’est plus qu’enluminure
Cautionnant le meurtre des victimes impures,
Vu que chaque lettrine allume un beau bûcher
De son encre de feu sur parchemin glacé,

Vu que le paradis se vend au suicidaire
Qui réduit en partant d’autres corps en poussière
- Hé oui, l'éternité coûte moins qu’un salaire - ;

Vu que la force aveugle a partout ses entrées,
Que la démocratie n’est qu'écran de fumée
Où dansent des valets dont le touffu verbage
Mendie le maigre pouvoir qui leur sert de gage ;

Vu que l’esprit de clan l’emporte sur l’esprit,
Que l’instinct dynastique excite l’appétit
Des nombrils suitant leur égoïsme abruti ;

Vu que la presse ment par savante omition,
Qu’elle a pour mécène la manipulation,
Qu’il y a des larmes de luxe et de lumière
Et des larmes sombres sans valeur financière

Non vraiment je ne veux plus lire les journaux
Avant que l’on me donne un printemps sans corbeaux.

13. Le pouvoir

Méprisable drogue des esprits malfaisants,
Pouvoir, sombre pouvoir, ta sombre odeur m'écoeure !
Cette odeur de sexe dégoulinant d’argent
Qui englue sur ta langue - ignoble puanteur ! -

Des amoncellements de mouches et de vers,
Cette odeur te trahit comme un mauvais alcool !
Exécrable alcool qui jamais ne désaltère,
Ecris la musique, la danse, les paroles
De ton mauvais ballet. Je refuse le rôle.

Trouve un autre dupe pour téter tes mamelles,
Trouve un autre entonnoir espérant quelque gloire ;
Il sera bien décu, lorsque de tes mamelles
Il ne verra sortir qu’un poison sans mémoire
Et puis quelques statues, vite badigonnées
Par les pigeons vengeurs des âmes opprimées.

Alors il saura que la foule courtisane
S’accouple avec le trône et non avec le roi
Et il regrettera les franches paysannes
Dont les faveurs sans fard rosissent le minois.

Entre deux cauchemars, deux hallucinations,
Il verra ses sujets s’incliner de terreur
- De terreur, je dis bien, et non d’admiration -
Sous l'épée, seul pilier d’un palais sans chaleur.

Oui, il sera déçu. Mais il continuera
Car le poignard en sang que l’on laisse sécher
Egorge le maître qui délaisse sa loi.
Il sera déçu mais n’aura pas d’autre choix
Que le servir encore et toujours l’abreuver
Dans l’enfer des ses propres chaînes prisonnier.

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Auteur: chimay

Created: 2023-05-10 mer 16:49

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