Eclats de vers : Litera : Muses

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Table des matières

1 Quatorze vers et plus

Art pathétique, 1ère partie : de l'art de ne pas faire un sonnet.

« Entonnons une églogue où s’abreuve un essaim
De pieds nus et lactés sous un ciel sans nuage.
Muse, ajuste ton col, que ton raide lignage
Soit sculpté noblement sur ton buste abyssin.

Que la Règle pédante agrippe le buccin
Pour clamer à tous vents comment faire un vers sage !
Que ton luth soit carré, qu’il incline au servage
La Rime sourde aux yeux, le Mètre capucin.

Intitule Poëme un péplum sans mérite
Où se pâme, où se tord la Vierge sodomite
Enjambée – en secret – par un jeune Berger.

Car le Cadre interdit la voltige à Pégase,
Le frisson de la Nymphe et l’écho trop léger
Dont il verse le flot dans la pompe d’un vase. »

    *

Ainsi parle celui qui n’ose s’envoler.

2 Réseau

Le h en est muet quand je voudrais l’hurler
Jusqu'à ce que l'écho se rappelle ma voix
Le h en est muet j’ai dû trop l’aspirer
A force d’essouffler des comètes de soie

Pourtant j’ai libéré les lettres de leur cage
Et la montagne au moins se rappelle ma voix
Pourtant j’ai libéré le feu sur chaque page
Mais il ne reste rien des comètes de soie

Le vide est le vélin sur lequel j’ai écrit
J’ai su l’ensemencer dans un lacet de phrases
Et chaque goutte d’encre et chaque idée depuis
Batifole au hasard dans un lacet de phrases

Et chaque goutte d’encre imbibe le treillis
Volant de maille en maille ailes gonflées d’extase
Le vide est le vélin mais je le sais qui vit
Sa texture palpite ailes gonflées d’extase

C’est un calque en relief sculpté recto-verso
La vallée devient col pour qui tourne la page
C’est un calque en relief chaque sens chaque mot
Contient son négatif et l’eau est un rivage

Parfois la brise émue fait tinter les cigales
Le panier en osier louvoie comme un serpent
Le mistral est rageur le drapeau claque au vent
Girouette emportée de rafale en rafale

Le tout part en fumée quand tombe sur l’enclume
Surchauffée la vapeur des trombes d’eau transies
Si c’est pour être sobre autant ranger la plume
Que l'épée soit trempée par l'écume en furie

La muse aime la mer le ressac le tumulte
Et sait ressusciter les cendres des chevaux
L’ivresse de l’air frais sur sa peau qui exulte
Fera bientôt revivre un nouvel écheveau

Parfois sur le filet les cheveux des étoiles
Déposent doucement de ces tresses bouclées
Si fines que le fil paraît soudain grossier
Et qu’il faut invoquer les fées du carnaval

Pour arriver à rendre un zeste de beauté
A l'éclat qu’on retient dans une lampe à huile
Gloire à la perspective au trompe-l’oeil fertile
Car ils sont la racine où l’astre peut germer

Si la lettre est éteinte elle n’attend qu’une âme
Pour redorer ses feux tout vibrant de mystère
Le son est un joyau un vivant hologramme
Tapis dans la pénombre et guettant la lumière

L'étincelle c’est toi dont le coeur est ouvert
Toi dont la voix sensible allume des soleils
Toi qui voit rougeoyer à travers la poussière
Le pétale assoupi d’une rose vermeille

3 Brise nocturne

Je n’ai plus aucun rève, ils se sont tous enfuis
Là haut, dans les bourgeons d’un arbre vaporeux
De leurs ailes d’albâtre ont quitté mon ennui
Emmenant les clefs d’or des accords harmonieux

Je ne sais plus ouvrir les coffres verrouillés
Le santal vainqueur tient à l'écart les curieux
Il est juste permis de sentir transpirer
Le vertige assoupis sur l’oreiller des cieux

Il ne me reste plus qu’un voile déchiré
Habillant une brise à la vibrante voix
Qui me dit : « Rejoins-nous ! Quitte ce dur sommier !
Viens flotter avec nous au souffle des hautbois ! »

Mais sans plume, impossible de quitter ce sol
Qui me retient de ses invisibles courroies
Ni parfum, ni encens, rien n’y fait. De ces fioles
Seul un brouillard blafard s’en échappe et me noie

Je laisse ma fenêtre cueillir les paroles
Du vent farceur qui vient la voiler de rosée
C’est ainsi que parfois quelque strophe frivole
Se dépose sur le vitrail de mes pensées

4 Le chat

Une de mes muses est un chat
Qui travaille sur mon sofa

Quand il dort mes rimes ronronnent
Ses pattes feutrées les façonnent

Lorsqu’il a faim et qu’il miaule
Elles pleurent comme des saules

Si l’on ne voit que ses moustaches
Les vers murmurent et puis se cachent

Sa queue remue et se rebiffe ?
Est-il fâché la strophe griffe !

5 Frayeur de l'écrivain

La recherche incessante et effrénée des lignes
Me conduit quelques fois devant les yeux étranges
D’une longue et maline et large feuille blanche
Dans ces moments elle semble me faire un signe

Elle veut que je la trempe de beaucoup d’encre
Elle me donne alors une grande inspiration
C’est comme si ses lignes produisaient des sons
Alors pour un moment, je jette amarres et ancre

Alors je manipule tous ses recoins secrets
Je la froisse et puis je l’adoucit sans remords
Elle se livre à moi dans un curieux ballet
Et la frénésie dure au moins jusqu'à l’aurore

6 La Muse aérée

- Viens donc ici ma Muse, ici sur ce sofa
Etale-toi, m’amuse, qu’as-tu vu là-bas ?
Ne cèle rien ma Muse, aux rêves guide-moi,
Toi qui connais, j’abuse, l'âme des émois.

Balaie en moi, j’en use, ce froid engrenage
Raide et implacable, lui qui fauche et qui rase
Instant aprèse instant.
Son nom ? Nul ne le sait. Il vit loin de l’extase
Et porte convenances en guise d’ornements

Où es-tu ma coquine, ma bise volage ?
Uses-tu de tes charmes auprès d’une autre plume ?
Rognes-tu sur ta peine, as-tu peur qu’on s’enrhume ?
- Assez de cette plainte, n’entends-tu pas mon rire ?
Gagnée par ta complainte, il me faut découvrir
As-tu pas vu mon jeu, je suis là dans tes lignes
Ne vois-tu pas ton front, où je souffle en sourdine ?

7 Les violons

Vibrent quatre cordes chantant chaque saison
Il est le ré, l’automne, l’archet tourmenté
Ou bien le sourd hiver de son sol en haillon,
Libère de son la un printemps agité ;
Oiseau du si, du gazouilli sifflant l'été.
Neige-t-il en son âme, le bois est tout en pleurs ;
S'il se noie dans la joie, ses accords sont rieurs.

8 Une flûte

J'étais bien jeune encor. J’arpentais les ruelles
Des livres verrouillés et des claviers rongeurs.
Déjà une souris riait sur mes doigts tendres
Mais je l’oubliais sous un écran de poussière.

Des forets à la main, les insidieux sapeurs
Du regret ne cessaient de partout se répandre.
Mais je ne voyais rien des journées qu’ils enterrent
Lorsqu’ils minent les nuits blanchies qui nous attellent.

Mon rire se taisait, vaincu par les calandres
Qui écrasent dans leur monochrome lumière
Le fuyant horizon de nos oeuvres trop frèles
Et déroulent l’oubli géant et dévoreur.

Au fil de l’inutile où la fatigue éclaire
Je dételai bientôt le labeur et sa selle
De sueur. Laissant là mon carcan de rigueur,
Je construisis une armure pour me défendre.

J’avais fermé ma porte aux cris et aux appels
Lorsqu'à travers le chêne massif de l’horreur
J’entendis une voix surmontant les cassandres
Chantant : « Réveille-toi ! ». Et mon oeil s’est ouvert

9 Plénitude

Au plus profond des bois, où des troncs d’autrefois
Dénouent de leurs senteurs le murmure du bois
Il m’a semblé entendre, un murmure, une voix

Il se cache souvent dans les plus hauts branchages
Murmurant aux passants qui fuient les orages
"Viens, assieds-toi ici, écoute mon feuillage
Ecoute mon ramage, il vient du fond des âges

Quand les arbustes bruissent, c’est la voix d’une brise
Qui emmène en soupirs nos soucis, nos querelles.
Par d’impalpables bises, la belle fraternise
Invisible coquine peignant une aquarelle.
Ces jours l’esprit s'élève, et guidé par le vent
Il parcourre royaumes, cités et châteaux,
Montagnes et forêts, océans et ruisseaux
Voluptueux et calmes autant qu'éblouissants.
Lors, presque sans un bruit, il s’assied sur le buis
Et réveille son corps tout encore endormi.

10 Etrange blessure

Les vers s'échappent de ces étranges blessures
D’où ruisselle un sang clair, épais et translucide,
Un sang clair sans couleur, sans défaut sans souillure
S'écoulant lentement des lèvres insipides.

Les vers chantent dans les ruisseaux ensorcelés
Leur filet timide jaillit de nulle part
Mais leur timbre grave trahit la cavité
Imbibé de larmes de tristesse et d’espoir.

Le long de la voûte du temple pétrifié
Des perles chrysalides prennent leur envol
Hors du cocon des souvenirs fossilisés,
Arc-en-ciel d'émotions intenses et frivoles.

En essaims satinés les échos se propagent,
Tableaux tournoyant des papillons colorés.
L’intérieur reste exsangue, las mais soulagé
D’avoir plus libérer le trop-plein de l’orage.

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Auteur: chimay

Created: 2021-11-07 dim 19:09

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