Eclats de vers : Poésie : Carnaval
Table des matières
1. Je ne dormirai pas
Je ne dormirai pas
Cette nuit
Mais je ne viendrai pas
Il fera froid et gris
Et pourtant
Je resterai ici
A écouter le vent
Balayer
Les tristes paravents
Auxquels je suis lié
Tout comme eux
Qui pourrait le nier
Plus rien ne nous émeut
Qu’en surface
L’air devient venimeux
Dans les palais des glaces
Des paons teints
S'échangent des grimaces
Deux ragots le potin
Ce cheval
Vingt sous à trois contre un
Je fuis le carnaval
Sans attendre
Que le masque m’avale
La vanité n’engendre
Que le vide
Et des germes de cendre
Je cherche l’atlantide
Le compas
Vers le zénith splendide
Aussi je ne dors pas
Je me baigne
Dans le torrent des voix
De la nuit souveraine
Mystérieuse
Fugitive fontaine
Quand la nue capricieuse
Déshabille
Les étoiles rieuses
Le vertige frétille
Je m’y plonge
Le sable bleu pétille
Et les oisillons-songes
Qui pépient
Auprès de moi s’allongent
2. Les éléments
Il surgira des flots ténébreux de la honte,
Auréolé d'éclairs plus bleutés que le ciel.
Par vagues, sa fureur, inondera l’immonde
Et brisera la roue de la haine cruelle.
Fuyez ! Voici l’orage,
Déjà l’onde s’ombrage
Et l’horizon est noir d’averses torrentielles.
Il surgira des eaux profondes et glacées,
Déchirure de lave engloutissant la mer.
Ses bras étincelants, plus tranchants que l'épée,
Tournoieront, meurtriers, en un disque de fer.
Fuyez loin du séisme !
Déjà le cataclysme
Fait trembler l’océan sous ses tambours de guerre.
De l’aube il surgira pour vaincre le couchant,
Rose aurore affrontant la pourpre des empires,
Deux soleils face à face en un duel sanglant,
L’un armé de rubis et l’autre de saphir.
Fuyez loin du combat !
N’entendez-vous donc pas
Leurs chevaux galoper et leurs sabres frémir ?
Et ce sera le choc des éléments sauvages,
Métal contre métal dans un bruit de tonnerre.
Leurs hurlements furieux, repris par les nuages,
Répandront la panique aux confins de la terre.
Fuyons, point de bravade
Devant cette tornade !
Chaque coup creusera un immense cratère.
Lorsqu’ils auront brûlé les océans grondeurs,
Incendié jusqu'à l’eau frigide des glaciers ;
Lorsqu’ils auront noyé la fournaise intérieure
Et figé le magma des volcans surchauffés,
Ils rompront, titubants,
Leur rage de Titans,
Et tourneront la bride vers l'éternité.
3. Champs vénéneux
Les plus dangereux des reptiles
Ne sont pas toujours ceux qu’on pense
Souvent les manteaux d’innocence
Servent à masquer les plus vils
Ils sont si frêles si fragiles
Sous leurs beaux habits de dentelle
Mais méfiez-vous de leurs crécelles
De leurs couvertures d’argile
Car sous ces dehors ravissants
Une seule idée les démange
C’est vous vider de votre sang
Pendant que leurs douces voix d’ange
Endorment votre vigilance
Et que dans cette anesthésie
Vous vous transformez en zombie
Pris entre torpeur et démence
Sans même sentir l'énergie
S'écouler par vos plaies béantes
Cette sournoise léthargie
Ne vous laissant qu’un coeur exsangue
Le seul salut est la surprise
Montrez-lui vos crocs de cobra
La bête relâche sa prise
Et vous fuyez loin de ses bras
Attendez-vous à des crachats
A quelques cris dans votre dos
L'âcre fumée s'élèvera
De l’herbe roussie des ragots
On dira qu’en vous dégageant
Vous fîtes souffrir ses mâchoires
Qu’elle avala son poison blanc
Et depuis pleure de l’eau noire
Les légions des spectres drogués
Diront d’une voix monocorde
Le cauchemar halluciné
Qu’est le mot d’ordre de la horde
Mais les échos ont l’importance
Que vous voulez bien leur prêter
Marchez sans plus rien écouter
Hormis le baume du silence
Prenez garde soyez prudent
Le lis est souvent sa cachette
Quand son clin d’oeil étincelant
Abrite un serpent à sornette
4. Aux vertueux
Aux vertueux enracinés
Dans une auréole de neige
Hautains comme des peupliers
Parce qu’ils flottent comme un liège
Sur la mer huileuse du vice
Loin des nymphes des sortilèges
Préférant sans doute à leurs pièges
Leur âme vierge froide et lisse
A ces pourfendeurs de caprice
Fiers de ne s'être pas mouillé
Pour n’avoir pas osé plonger
Dans les arcanes du délice
Aux professeurs de natation
Qui n’ont jamais l’orteil dans l’eau
Que dans des bains forts peu profonds
Et qui se moquent des crapauds
A ces champions de la rigueur
Qui voudraient bien nous l’imposer
Sous prétexte que leur pâleur
Leur serait moins lourde au collier
Aux hypocrites vaniteux
Détenteurs de double morale
Une pour l’autre une pour eux
Sur une balance bancale
A ces habiles habilleurs
De vils intérêts par l’ascèse
Qui alimentent leur orgueil
Sur la dîme du diocèse
Aux habitués de l’ennui
Depuis de trop longues années
Aux logiques cadenassées
Je dirai simplement ceci
C’est dans la boue qui s'évapore
Que croît et germe le blé d’or
Et le plus pur des diamants
Sort du cratère d’un volcan
5. Recto-verso
Recto, l’arbre est en fleur,
Il neige au bord de l’eau :
Des nuées de couleurs
Arrosent le ruisseau.
Le concert des oiseaux
Concurrence l’abeille ;
Les ailes du soleil
Réchauffent les roseaux.
Verso, l’arbre est mort. Tronçonné par l’argent.
La laideur immonde en bave de plaisir
Dans l’eau qui n’est plus qu’un égoût dégoûtant.
Rien n’empêchera l’immeuble de grandir,
Rien n’ombrage plus les buildings arrogants.
Recto, longs cheveux bruns,
Un joli brin de fille ;
L’amour lui va au teint,
Tout son corps en frétille.
Pourvu qu’elle sourie,
Les nuées se découvrent ;
L’aurore qui s’entrouvre
Pâlit de jalousie.
Verso, son coeur froid qui ne bat que pour elle.
L’amour l’a souillée, louée, vendue, trahie :
Elle n’en veut plus. Seule, restée fidèle,
L’acide rancoeur ronge sa jeune vie :
Elle a quatorze ans et le néant l’appelle.
Recto, l’eau d'émeraude
Parsemée de corail ;
La plage d’ocre chaude
Y dessine un vitrail ;
Des poissons-éventails
Flamboient dans tout l’atoll,
Offrant une auréole
A ce joyau de taille.
Verso, c’est un rêve, une perle boueuse,
Tombée du plafond d’une cave halogène
Sur les murs transis de sueur laborieuse ;
C’est le champignon qui verse l’eau laiteuse
Sur les mains droguées aux hallucinogènes.
Recto, la liberté
A brisé ses entraves ;
Son essor éthéré
Libère les esclaves.
Plus de rameurs d'étraves,
La galère est finie ;
La chiourme affranchie
Sort enfin de l’enclave.
Verso, c’est la voix de la faim, de l’envie
D’un luxe inutile asséné constamment
Sur tous les écrans ; les paillettes pourries
Versées par l’espoir dans la cruche du vent,
L’espoir d'évasion qui étrangle la vie.
Recto, la paix profonde
De la nuit impérieuse
Où chaque étoile abonde
En phrases silencieuses ;
Les soirées délicieuses
Où la brise caresse,
Où la lune se dresse,
Reine majestueuse.
Verso, le vain bruit de la vaine querelle
Et le rire en toc de la haine cordiale,
Echo émergé de l’horrible crécelle
Qui peine à cacher les rivières léthales,
Le sang mal lavé par le chagrin du ciel.
6. Les masques
Les masques grotesques se massent,
Chacun dans son propre brouillard,
Contemplant, au fond de l’impasse,
Les mirages qui les égarent :
Les illusions sont importantes
Au bal des coquilles volantes.
Assez de feutre, assez de fard
Et du crachin des boulevards.
La vanité, drogue tenace,
Les enfume dans ses hangars.
Ils engraissent quelque rapace
Des cernes de leurs yeux hagards :
La gloriole est toute puissante
Sur leurs espérances fuyantes.
Assez de feutre, assez de fard
Et de froideur dans les regards.
Leurs jours, au travers de la nasse,
S'écoulent comme des cafards,
L’heure n’est plus qu’une crevasse
Où ils cachent leurs désespoirs :
Il n’est plus un cil qui ne mente
De ces marionnettes démentes.
Assez de feutre, assez de fard
Et des seringues du pouvoir.
7. La plaine
Alors qu’un soir que dans la plaine
J'étais descendu vivement
Pour fuir orage et mauvais temps
Dans hautes broussailles s’amène
Ombre furtive lentement
Alors qu’un soir que dans la plaine
J'étais descendu vivement
La nuit un vent glacé de haine
Me gela jusqu’au coeur le sang
Je vis une mine d’argent
Où règnait une odeur malsaine
Et la tanière d’un géant
La nuit un vent glacé de haine
Me gela jusqu’au coeur le sang
Comme pour complèter la scène
Apparut Temple médisant
Au feu aussi sombre qu’ardent
Au milieu, la Justice obscène
Otait jusqu’au dernier ruban
Comme pour complèter la scène
Apparut Temple médisant
Le souffle court de leur rengaine
Me fit fuir loin de ces déments
Je remontai lors vivement
Dans les collines, hors de la plaine
Et le ciel me parut clément
Le souffle court de leur rengaine
Me fit fuir loin de ces déments
Je me reposais sous un chêne
Lorsque j’entendis doucement
D’entre les feuilles sifflement
D’un merle de ramée hautaine
Récital doux et apaisant
Je me reposais sous un chêne
Lorsque j’entendis doucement