Eclats de vers : Poésie : Éclaircies
Table des matières
1. Mon vieux stylo rouillé
Mon vieux stylo rouillé grince ; il n’est pas content.
Serait-ce le réveil, le temps, les rhumatismes ?
Du tout, me souffle-t-il, sans le moindre mélisme,
Mon auteur m’a laissé de coté trop longtemps.
Tu me savais pourtant allergique aux poussières
Et grand consommateur de ces coupes d’air frais
Qu’on ne trouve qu’à l’ombre immense et centenaire
Des cascades perchées au fin fond des forêts
Tu me savais pourtant argentin de facture
Amateur de tango et de bandonéons
Ce duel ancestral qui mêle en sa morsure
Le venin de la guêpe et le dard du frelon
Mais tu me laisses là, dans ce placard ingrat
Dans cette obscurité juste digne d’un rat
Où j’entends bavarder les livres et les ombres,
Et tout ce bric à brac qui ronfle et qui m’encombre.
- Le temps s’est égaré que je voulais écrire.
Mon essor, à présent, aussi lourd que l’acier
S’est posé sur le roc aride d’un glacier
Où l’air est trop précieux pour oser un sourire.
- Mais c’est de l’encre-en-ciel qui coule dans ton âme
Tu dois ouvrir les yeux pour que les larmes sèchent !
Ces vieux accords brisés n’attendent qu’une flamme
Un souffle, une étincelle, que dis-je une flammèche !
Ami, ouvre les yeux, ce stylo est fort sage :
Rien ne sert d’isoler ton coeur et ta conscience.
Si tout autour de toi te semble de passage
L’esprit est toujours là qui te guide en silence.
2. Lueur
Comme une fleur qui pousse au milieu du bitume,
Comme un îlot défiant les vagues en furie,
Comme un trait de soleil qui transperce la brume
Et vient se consumer sur la grève alanguie,
Comme un pinson éclos d’une orgie de vautour,
L'éclatante colombe éclipsant les corbeaux,
Comme un sanglot craché d’un oeil sec, sans amour,
Pierrerie dans la boue que pleurent les roseaux,
Comme un cristal de quartz attendant dans sa nuit
Qu’un rayon de soleil s’en vienne l'épouser,
Une source fumante au coeur enseveli
Sous le blizzard épais des sabliers figés,
La dernière bougie d’un vieux manoir lugubre,
La rosée matinale au coeur du sahara,
Un sourire égayant un vieux lit insalubre,
Un éclair sidéral dans l’encre d’un sous-bois,
L'Espoir toujours luira, fragile et invincible,
Absorbant sans effort les ténèbres horribles.
3. Aragonienne
Vite courons aux champs fleuris
Avant que les fleurs ne s’y fanent !
Que leur reste-t-il dans les bras
Quand l’oisillon quitte le nid ?
Nous veillerons les vagues vive-
Hantées d’un somme ensorcelé
Nous troublerons d’une onde vive
Leur peau limpide échevelée
Sous leurs paupières de géode
J’y ai revu tes yeux pers sang
Tapis volants sur pilotis
Qui entrouvraient leurs antipodes
Que pouvaient-elles bien cacher
Dans l’antre obscur du flot amer ?
Serait-ce un charme que contient
Ton fier tétin de sauvagine ?
A la surface de l'étang
Nous lui élèverons un temple
De quelques jets d’eau et de pierre
Où ricocheront nos reflets
Redevenant souffleurs de vers
Pieds dans la boue vers l’horizon
Se ventilant d’un magazine
Pour mieux sentir venir le vent
Nous laisserons filer l’oseille
Dans une attraction sans cardan
Couchés auprès d’un vieux cadran
Sur les galets bleus de soleil
Nous n’aurons plus de lest au mât
Mais du vélin comme voilure
Et vorace est son estomac
Lorsqu’il dévore l’insoluble
Pour mieux sacrer les sacrilèges
Entre l’ombre et le crépuscule
Nous taillerons dans nos malaises
D’une serpe en croissant de lune
De ce remède empoisonné
Nous suerons quelques oasis
Sous les roseaux déracinés
L’apnée nous sera bienfaitrice
Sais-tu que la brume transpire
Malgré ce froid qui nous canarde ?
Mais tous les vieux complots transpirent
Dans l’intempérance pinarde
Oui ton coeur dort dans ton regard
Tout voile serait translucide
Comme un avant-goût de l’extase
C’est l'âme qui me sert de guide
4. Métamorphose
Avec son front squelettique
Sa frondaison dégarnie
Privé de toute tunique
Notre arbre songe aux Antilles
Il ne se paie pas de mine
Ainsi pâle et dévêtu
Les faux bourdons qui butinent
Ont de longtemps disparu
Seul un hibou de lucarne
S’ose poser sur sa branche
L’hiver rapace s’acharne
L'écorce claque des hanches
Mais fol qui l’irait jauger
A son allure hivernale
Moi qui l’ai vu argenté
Tout pomponné de pétales
Moi qui l’ai pu contempler
Lorsqu’il était un joyau
Jouet de ce vent léger
Qui lui caressait la peau
Moi qui ai vu sur son tronc
Ce tendre coeur étranger
Ce tatouage marron
Déformé par les années
Travaillé par la croissance
Et de malicieuses fées
Moi qui l’ai lu en silence
Oui je peux bien l’affirmer
A l’heure où de doux flocons
Plus printaniers le couvraient
Tout n'était qu’ouate et coton
La neige alors préférait
Sa charpente aux champs brumeux
Le duvet au frigidaire
Les nids chantonnaient joyeux
Mais le printemps est devers
L’arbre est tout nu grelottant
La neige est déchue des cimes
Et c’est la terre à présent
Qui se recouvre d’hermine
Ce qui n'était autrefois
Qu’un terrain vaguement laid
Mais nettement improbable
Devient pur comme le lait
Que l’on tête à la naissance
Sur le tétin tout mouillé
De la douillette espérance
Ce lait non encor souillé
Par les basses-cours d’enfance
Les adultes porcheries
Les bassesses la souffrance
Ne l’ont pas encor aigri
Mais le temps change si vite
L’azur se zèbre d'éclairs
Et les arcs-en-ciel invitent
Quelques ondées passagères
Les carnets de bal débordent
Comme une crue de fin mars
Le déluge les aborde
La giboulée part en chasse
Le rythme effréné succède
Aux languissantes glissades
A peu que la salsa cède
Au jazz qui la sérénade
Puis c’est la ronde enivrante
De quelque valse à mil temps
Oui la nature est changeante
Allant du roide au clément
Il arrive que les cieux
Inversent le cours des fleuves
Que la fumée soit sans feu
Et que les éclaircies pleuvent
5. Le printemps
C’est lui qui te donne des ailes
Lui qui te rend léger et fou
Lui qui fait fondre la flanelle
Le printemps d’acajou
Quand nous arrivent les chaleurs
Les oiseaux fêtent son retour
Le soleil sème les couleurs
Dessine les contours
On voit refleurir les bruyères
En lisière des cerisiers
Dans la litière des bergères
S’en viennent les bergers
Dynamitées de suggestions
Et habillées de courants d’air
Les filles au premier frisson
Entrouvrent leurs clairières
Laissez-vous choir feuilles de vigne
Alourdies d’imagination
Que la pesanteur vous résigne
Si ce n’est la saison
Cueillons les corolles ardentes
Dissimulées sous les buissons
Déjà les soupirs s’impatientent
N’entendent plus raison
C’est le carnaval des oeillets
Sous les bouquets de confettis
C’est le carillon du muguet
Qui danse dans son lit
Au placard les vieilles pantoufles
La brise est douce et sensuelle
La joie sifflote au moindre souffle
La vie se renouvelle
Si les averses de pétales
Rendent un son mélancolique
Quand le vent du soir qui détale
Remue comme un moustique
C’est que le tapis parfumé
Connaît la musique des arbres
L'élégie des hivers gravés
Dans l'écorce de marbre
6. Hibernation
Lecteur, suspends ton vol étourdissant d’abeille,
Laisse filtrer ce conte au creux de ton oreille :
C’est l’histoire d’un fou flirtant avec l’abîme
Qui prit un beau matin la douce main des rimes ;
Un fou jeune et bouillant aux fougues sans pareilles
Qui flottait libre enfin entre songe et réveil !
Dans l’encre délivrée les strophes s’engouffrèrent,
Le délire appelant son suivant comme un frère.
La révolte grondait dans son âme enflammée,
Entre les sonnets doux et les fleurs parfumées,
Rêvant un paradis où les frelons butinent,
L'épée au ratelier, des bouquets d'églantine.
Le vent les lui confia, la voix des sortilèges
Et le secret des chats qui lui firent cortège ;
Ils furent dispersés, les nuages de toile,
Invoqués le soleil, la lune et les étoiles.
Mais un jour il tomba, épuisé et fébrile,
Lassé de sillonner l’habitude stérile ;
Les ailes enflammées transperçèrent la neige,
La routine apaisée couvrit le sacrilège.
Les fleurs de l'églantier, les sonnets parfumés
Jaunirent dans l’oubli incertain du passé ;
Et le temps défilait, répétitif et morne
Dans la steppe sans fin d’un océan sans borne.
Quelques années plus tard, qui semblèrent des siècles,
Apportée par le souffle empourpré des pastèques,
Il revit un matin la douce main des rimes
Qui flottait librement au-dessus de l’abîme.
Le délire appelant son suivant comme un frère,
Dans l’encre délivrée les strophes s’engouffrèrent !
Depuis il s'étourdit entre songe et réveil,
Epuisé par sa muse aux fougues sans pareilles ;
Telle un verre d’alcool dans un brasier pâli,
Son coeur a ravivé le poète endormi.
Tu me diras mais qui est son farouche époux ?
Ce n’est ni toi ni moi, mais c’est un peu de nous.
7. Bourgeon
Si tu n’as plus le grand frisson
En entendant le dernier son
Si tu n’as plus le grand frisson
Si tout n’est plus qu’une impression
Libère le feu des glaçons
En entendant le dernier son
Libère le feu des glaçons
Si tout n’est plus qu’une impression
Ne sens-tu pas ce sol vibrer
T’inviter à la résonance
C’est la lave sous le plancher
Qui cherche la bonne fréquence
Une éruption de source chaude
Qui vient disloquer la banquise
Propagation de l'émeraude
Sur la terre déjà conquise
Laisse éclore en toi cette vie
Elle nous vient du fond des âges
Pour nous dire ne sois plus sage
Laisse éclore en toi cette vie
Elle nous vient du fond des âges
Nous dire rien n’a d’importance
Un temple ne vaut pas la danse
Existe et cesse d'être sage
Le marbre même est décadence
Il faut ouvrir tous les tiroirs
Et rire au nez de ce qu’on pense
Range le couvercle au placard
Et que s'échappe la vapeur
Ne sens-tu pas ce sol germer
C’est la lave sous le plancher
Qui met la pression au moteur
A explosion géologique
Tourne la manivelle tourne
Dans la ronde psychédélique
Fais comme tu veux j’y retourne
Il faut ouvrir tous les tiroirs
Le marbre même est décadence
Range le couvercle au placard
Un temple ne vaut pas la danse
Non vraiment rien n’a d’importance
Que de partager la chaleur
Laisser s'échapper la vapeur
Et rire au nez de ce qu’on pense
8. Les éclairs
Quand le soleil s’endort sous un nuage gris
La succession des jours n’est qu’une longue nuit
Où la lune en plongée sous les vagues d'ébène
Va rejoindre la voûte en son vase abyssal.
On croirait le néant si quelque rare veine
N'épanchait son sang clair dans l’encre immémoriale,
Inguérissables plaies à l'éclatant débit.
Nous laissons défiler les horloges murales,
Entamant chaque jour le même vieux circuit,
Attendant un éclair pour briser nos rengaines.
Et lorsqu’avec son arc il foudroie notre ennui
Nous restons stupéfaits, n’en croyant pas l’aubaine,
La voix tétanisée par le trait sidéral …
Mais déjà il rejoint son lointain piédestal.
9. Le premier jupon du printemps
Sens-tu cet air radieux qui nous vient du soleil,
Cet air qui carillonne au rythme des abeilles ?
C’est le clairon des cieux, cuivré d’or et d’azur
Qui chasse en s'étirant les froides engelures
Jusqu’au fond des terriers creusés par le sommeil.
C’est la flûte engourdie qui mande aux fleurs rebelles
D'émerger des draps blancs glacés de la Nature,
Nous dévoilant ainsi sa fine chevelure,
Toute boucles teintées, soyeuse et sensuelle.
L’hiver cède la place aux douces mandolines,
À la verte fraîcheur de délicieux parfums ;
Une pluie de cuicuis et d’essences câlines
Recouvre les jardins, les vallées, les collines
De teintes et de thym.
Sens-tu cet air joyeux qui regorge de rire,
Cet éther bourdonnant, cette ruche en délire
Au miel folâtre et pétillant ;
Ce facétieux coquin, léger mais plein d’audace
Dont le souffle insistant soulève puis enlace
Le premier jupon du printemps ?
Regarde-les valser et se mettre à leur aise,
On dirait un kiwi qui courtise une fraise
La mésange s’enfuit puis freine des deux ailes
Lui en fripon farceur, elle en fine dentelle,
Le pinson vise au coeur le nid sous la flanelle,
le fripon, la jupette,
Dans leur lice se taquiner les ailes,
Volez pinsons, volez fauvette !
Au plus léger, vainqueur de ce duel,
Le nid douillet tout de flanelle
Gonflées comme une fière goélette
Que leur jeu nous révèle au sommet des gambettes.
Mais le plus beau de l’aquarelle
Est sans conteste la rougeur
Qui teinte la peau de la belle,
De la belle aux yeux voyageurs.
Sous le clin d’oeil du sang farceur,
La chair s’empourpre de grenade,
Le soir la ceint de sa cascade
Jusqu’au flamboiement des couleurs.
Tant est bien ficelé le piège
Que la main n’ose même plus
Tenter le geste sacrilège
De reprendre le terrain nu
A cette lumière éclatante.
C’est sous ces rayons qui s’agrègent
En un écho intense et dru,
C’est dans cette trame envoûtante
Que nait la saison frissonnante.
Sens-tu cette flèche fidèle
Qui s’en revient pour nous guérir
De son céleste onguent de cire ?
C’est l’aileron de l’hirondelle
Qui sème doucement sa sève
Sur le treillis de nos tonnelles
Rongées par l’hiver qui s’achève.
Et soudain tout n’est plus qu’un rêve,
L’air s’est figé, comme en suspend
Au premier baiser du printemps.