Eclats de vers : Litera : Scène

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Table des matières

1 Saillie

- Bienvenue le bébé, un monde s’ouvre a toi
L’on me nomme la vie, voici quelques conseils :
Je n’offre qu’une nuit, je griffe et me débat,
Sans attendre, prends-moi, devant que le soleil

Ne me voit m’envoler, car je suis infidèle.
Tu vas devoir apprendre à écrire, à compter
Mais surtout à mentir tout drapé de dentelle.
Sois toujours prêt à fuir, à trahir le premier,

A rire avec l’idiot s’il porte une arme au poing,
A poudrer le pouvoir de parfums capiteux,
A saigner ta part dans les rivières d’or fin,
A tous les enchaîner de maillons insidieux.

Et méfie toi de tous, surtout de ceux qui t’aiment,
Quant à toi n’aime pas, contente toi des phrases,
Celles qui droguent la volonté et parsèment
Les yeux des victimes d’abandon et d’extase.

Tes rêves, détruis les : ils sont d’un autre monde,
Ici est méprisé le lent vol des oiseaux.
Garde les pieds sous terre, et ton âme féconde
Sers-t’en pour asservir les chiens et les troupeaux.

N’est-ce pas merveilleux, dis-moi qu’en penses-tu ?
- Ouuuuuiiiiiiiiiiiinnnnnnnn !
- Tu peux tout oublier, le temps de l’innocence.
- Reuh ?
- C’est bien !

2 Les statues de pierre

Le lait de notre enfance est déjà liquoreux,
Dans ce marbre de miel, notre vie est gravée.
Nos pensées, au landau, sont bien vite entravées,
Par de sournois coussins, par des barreaux moelleux.
Les balances pipées des berceuses s’inclinent,
Tandis que nous rêvons, coulant des jours heureux,
Et répandent en nous leurs effluves câlines,
Arcs-en-ciel ombragés de jalousies mesquines.
Déjà du nouveau-né on filtre la lumière,
Nous sommes des Statues libres comme la pierre.

Nous grimpons sous les murs d’un château ambitieux,
Qu’il soit Manoir rustique ou Tour édulcorée,
Que l’histoire engloutit à la prime marée.
Alors, jeunes naïfs, aveuglés par les feux
Qu’un bijou sans valeur imprime à nos rétines,
Nous recherchons en vain le diamant précieux
Qui pourrait délivrer nos coeurs de leurs sourdines.
Mais, usés par le Temps et de piquantes bruines,
Nous regagnons bientôt la douceur des clairières.
Nous sommes des Statues libres comme la pierre.

A l’heure où notre poil revêt un ton neigeux,
Où le feuillage plie sous le poids des gelées,
De pâles souvenirs en robes tamisées
Nous rappellent l'époque et les jours délicieux
Où, triomphalement, nous sonnions les matines.
Vient alors du regret cet index malicieux
Qui nous montre le champ de nos espoirs en ruines.
Qu’ils aient été d’acier, de chaume ou de résine,
Ils sont tous désormais recouverts par le lierre.
Nous sommes des Statues libres comme la pierre.

Enfant, n'écoute pas ces bruyants cimetières
Où des robots rouillés huilés par la lésine
Veulent forger l’esprit en séries à l’usine.
Prends ta hache et détruis ton Enceinte de pierre !

3 Salle de classe

C’est un local - plutôt froid mais trop chaud -
Où les songes sont tenus en cellule.
D’un pupitre, source de tous les maux,
Des yeux d’aigles les cernent, les acculent
Et leur envoient leurs batteries de bulles.
Vient l’hallali et le dernier assaut
Puis l'école referme son étau.

Les néons glauques flashent notre peau
Martelant les symboles qui pullulent
Sur la surface obscure du tableau.
Le point-virgule se désarticule ;
Les équations, les dates gesticulent ;
Monstres farceurs sortis de leur chapeau.
Puis l'école referme son étau.

Le globe tourne à l’envers. Son fardeau
Lui a tassé les pôles et il bouscule
Les idées qui nous viennent du berceau.
Près des vénitiennes, nos libellules
S'écrasent sur les fenêtres et reculent
Renonçant toutes à leurs lointains roseaux
Puis l'école referme son étau.

Horloge, aide-nous ! Belle cloche, hullule !
Délivrez-nous de nos rôles d'émules !
Tous aux vestiaires, vite les manteaux !
Car l'école désserre son étau.

4 Les anneaux de pouvoir

Aux Elfes l'Anneau d’or serti de diamants
Dont les blancs feux brûlent les coeurs les moins ardents.
L’auréole diaphane de leur prestance
Se diffuse dans les feuillages les plus denses.
C’est pour eux qu’au printemps dansent les jolies fleurs
Sur les rythmes effrénés que le soleil cadence ;
L’automne devant eux dévoile ses couleurs,
Le chêne les salue de ses feuilles rieuses.
Mais le diamant boit l'Agate capiteuse
De l'Anneau des Anneau, irrésistible leurre.

Aux Nains l'Anneau de bronze et le vert éclatant
De l'émeraude née des larmes d’un volcan.
Leurs galeries creusent les profondeurs intenses
A la recherche d’un concentré de brillance.
A eux la mine grise, ruisseau de sueur ;
Les soirs heureux où ils trinquent à la quintessence
Avec l’amitié qui leur offre sa chaleur.
Et pourtant, épaulée par l’envie malicieuse,
Leur émeraude effleure l'Agate soyeuse
De l'Anneau des Anneau, irrésistible leurre.

Aux Orcs l'Anneau de fer détrempé dans le sang
Que versent en torrents de frêles innocents
Dans le rubis infâme de la violence
Dont le rouge aveuglant achète le silence.
Le monde plie sous l’omniprésente terreur
Qu’infligent sans pitié leurs épées et leurs lances,
Vassales de la gloire, esclaves du vainqueur.
Pourtant, sous leur ignoble salive fielleuse,
Le rubis rampe devant l'Agate mielleuse
De l'Anneau des Anneau, irrésistible leurre.

Aux Humains, l'Anneau d’argent né dans l’océan
De l’abîme engloutit et des cieux envoûtants
Où le saphir trace les chemins de l’errance
De l’esprit qui cherche vainement la puissance.
Ils enferment dans une mortelle pâleur
Les bijoux qu’ils palpent de leur folle imprudence.
Pourtant, quand ils fuient loin de la gluante erreur
Ils créent des merveilles de leurs âmes curieuses.
Mais le saphir se vend à l'Agate coûteuse
De l'Anneau des Anneau, irrésistible leurre.

5 Test d'aptitude de Madame Irma

Perds-tu le souvenir de tes amis d’antan
Entre deux caisses noires
Chèque en bois chèque en blanc
Es-tu prêt à trahir toujours au bon moment
A perdre la mémoire
Et l’odeur de l’argent
Fermes-tu les yeux sur les boîtes en fer blanc
Lances-tu chaque soir
Une promesse au vent
Eclates-tu d’un rire implacable et cynique
Quand un choeur de rêveurs
Te parle de colchiques
Brûles-tu l’avenir dans des complots vulgaires
Pisses-tu sur les fleurs
Te nourris-tu des guerres

La boule de cristal dit que tu iras loin
Fais de la politique et tout ira très bien

6 Triple exemplaire

Le fonctionnaire attend sous sa lampe blafarde
Et les rayons ratés le frappent de stupeur.
Un café de trois jours renverse sa chaleur
Et son dernier espoir coule sous une farde,

Piège ou même l’oubli se noit, tant ces flots blêmes
Inondent le monde de leur encre inutile.
Le vide noir sur blanc se réplique lui-même
Comme un virus obtus dont les copies défilent.

Le cachet, ce cachot, l'écrase sous sa loi ;
Le marqueur se reflète en son jeux de miroirs,
Echiquier infini de classeurs, de tiroirs
Et de papier jauni par un soleil de bois.

Il voudrait bien hurler mais un poids dans son âme
Cloue au sol sa complainte. Il garde son secret.
Dans le couloir, un sergent rôde, veille et blâme
Ceux qui osent encor sortir de leur coffret.

Car il est prisonnier. Prisonnier des regards
Des sous-fifres hautains et des cadres vitreux.
Prisonnier de cette pyramide d’affreux
Qui se regarde agiter son propre encensoir.

Alors il se masque de réglements boîteux
Trop étroits pour son corps, trop cassants pour son coeur
Et brandit, menaçant, l’article poussiéreux
Qui lui sert de massue contre tous les râleurs.

7 Le métier

Elle tresse, lassée, des lacets enlacés.
"Entrelacs c’est assez ! Vous m’avez épuisée.
Avisée je serais d’aller me prélasser."
Dit-elle contemplant son oeuvre inachevée.

Mais toujours il lui faut ouvrager sans relâches
Tant le temps est court et tant le salaire est lâche
Alors donc elle coud sans dégoût ni sans larmes
Comme si le tricot l’agrippait de ses charmes

Lorsque vous enfilez votre manteau de laine
Pensez donc à ces mains d’une cave malsaine.

8 Temps modernes

Quelle-est donc cette foule, quelle donc cette presse ?
Seraient-ils donc tous fous, seraient-ils en détresse ?
On les voit tous les jours, sous l’air qui les oppresse
Servir laborieusement l’avide déesse

Que l’on nomme Travail. Exigeante, infidèle,
Tous elle nous maintient sous sa coupe cruelle
Création du passé, fardeau qui nous martelle
Quand va-t-on adoucir ses traits osseux et grèles ?

Ses courtisans cupides lui creusent ses rides
Vengeresse elle fait miroiter ses caresses
Mais ils n’obtiennent d’elle que morsures avides
Contre cette sueur qu’elle aime et qui l’engraisse

9 Métro

Je suis seul. La foule m'écrase, je suis seul
Des âmes étourdies dans des corps engourdis
Je suis seul au milieu d'écrins et de linceuls

Tous ont laissé leurs rêves en leurs lits encor chauds
Ils errent donc sans trèves, écrasés de soucis
Mais leurs yeux sans lueurs ignorent les fardeaux

Mais taisons-nous ! Toujours se fondre dans la masse
Couleurs vives déteintes, toute vigueur éteinte
Mais taisons-nous ! Il nous faut aligner nos traces

Mais point de triste fin ! Un regard, tout s’efface
Et la mélancolie, et le son de ma plainte
Il suffit d’un regard, un regard fond la glace

10 Avant que d'être une ombre

Avant que d'être une ombre
Que le soleil accable
Suivant les chemins sombres
Tracés par ses semblables

Avant que d’avancer
Dans un étroit couloir
En laissant défiler
Les matins et les soirs

Nous avons tous été nous-mêmes, au moins un jour
Et non pas le pâle reflet d’un peuple en contre-jour
Mais oui nous sommes libres ! De suivre les sentiers
Bordés par une jungle aux fauves redoutés

Nous avons tous vécu par nos jeux et nos rêves
Et non pas seulement par le regard des autres

Mais il n’en reste rien ! Tout au plus un souvenir
Qui parfois nous revient , lorsqu’un soir de trêve
L’on regarde la mer , assis sur une grève
Mais il n’en reste rien , juste un pâle sourire

Et si parfois le vent perdu de l’aventure
Vient me souffler à l’oreille , dans un lointain murmure
"Fichons le camp d’ici ! Ca sent le renfermé

La poussière et l’alcool , des rumeurs
De rumeurs , des complots , la sueur
Et du papier brûlé"

Je m’entends lui répondre en un vague soupir
Si le soleil se lève demain
Est ce pour voir comme aujourd’hui
Le même brouillard opaque et gris
Dans lequel se déplacent , sans âme et sans désir
Des ombres creuses qui semblent avoir pour seul destin
D’accomplir le pas prochain ?

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Auteur: chimay

Created: 2021-11-07 dim 19:10

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